Après les menaces et la riposte des webmasters bénévoles, l’odyssée d’Iliad continue
Depuis début avril, Iliad, la société qui édite 3617Annu et le portail annu.com, fait pression sur les webmasters de sites qui utilisent le terme "annu" dans leur adresse, pour qu’ils changent de nom de domaine. Cette croisade continue, et rebondit : la semaine dernière, Iliad a déposé une plainte au pénal contre un internaute qui aurait proféré des menaces de mort contre sa directrice juridique. Mais, pour calmer la mobilisation des webmasters utilisant "annu", Iliad (maison-mère de Free.fr) cherche désormais des solutions à l’amiable.
Début avril, des dizaines de sites ont reçu une lettre de mise en demeure de la société Iliad, leur demandant de cesser d’utiliser le mot "annu" dans leur nom de domaine. Selon la société éditrice de 3617 annu et annu.com, cette marque, déposée en 1989 à l’Institut national de la propriété intellectuelle, était depuis l’objet de nombreuses contrefaçons.
25 sites protestent
En réaction, plusieurs webmasters incriminés se sont rassemblés pour mener campagne et dénoncer les méthodes d’Iliad, autour du site Annu-secours, un annuaire francophone gratuit recensant les sites de secourisme.
Sur Annu-secours, Thomas Duvernoy, le webmaster bénévole du site, a mis en ligne une lettre de protestation, des forums et une liste des sites menacés par Iliad. "Il y a environ 25 sites qui se sont déclarés, sachant qu’il peut y en avoir d’autres qui préfèrent se faire oublier. Sinon, une dizaine de sites a changé de nom suite aux lettres du service juridique d’Iliad", explique cet étudiant infirmier, qui a vu la fréquentation de son site bondir à 15 000 visites par jour.
Dans une lettre intitulée "Une menace pour la libre expression sur le net", publiée sur Annu-secours, Thomas Duvernoy résume la question que se posent les webmasters bénévoles rassemblés contre Iliad : "Que peut risquer une société qui détient Free.fr ou Onetel face à des sites de particuliers ou d’associations ?"
Menace de mort
La question reste jusqu’ici sans réponse. Le service juridique d’Iliad, interrogé par Transfert, refuse toujours de commenter l’histoire, mais cette fois-ci parce qu’une instruction judiciaire est en cours. "Il y a eu des actes délictueux assez graves. Nous avons déposé une plainte au pénal la semaine dernière", explique la porte-parole d’Iliad, après avoir consulté le service juridique de la société. Elle ajoute ne pas souhaiter donner d’informations supplémentaires, mais précise qu’elle n’a encore engagé aucune poursuite contre les webmasters pour imposer son droit de propriété intellectuelle sur la marque "annu".
Selon nos informations, la plainte au pénal déposée par Iliad vise un internaute qui aurait envoyé des menaces de mort par email à Catherine Samama, la directrice juridique de la société. Les menaces, qui évoquent également les enfants de l’employée, viendraient probablement d’un des internautes visés par les lettres de mise en demeure d’Iliad.
Vers des solutions à l’amiable
Si Thomas Duvernoy déplore cette affaire, et précise que l’action des webmasters n’a jamais visé à menacer le personnel d’Iliad, il se réjouit que le contact ait enfin été établi avec Iliad, la semaine dernière : "Le service de presse m’a enfin contacté lundi dernier et j’ai rencontré le service juridique mercredi. Une possibilité de solution amiable se profile". Selon l’arrangement, Thomas Duvernoy pourrait conserver l’usage du terme "annu" dans son nom de domaine, en échange de la reconnaissance du fait que la marque appartient à Iliad, et sans contrepartie financière. "De toute façon, je n’ai aucun moyen de me défendre sérieusement sur le plan juridique...", précise-t-il.
Thomas Duvernoy reste toutefois prudent, avant de revoir Iliad le 14 mai, pour confirmer cet éventuel accord. "En tout cas, notre mobilisation a payé, puisque les gens d’Iliad, quand ils m’ont enfin contacté, avaient l’air inquiet face au nombre d’articles publiés à ce sujet sur Internet", souligne le webmaster d’Annu-secours. Ce dernier précise qu’il a conseillé à Iliad de contacter les autres sites, mais se refuse à négocier en leur nom.
Pour Fabien Maréchal, lui aussi inquiété par Iliad pour son site AnnuArt, un règlement à l’amiable n’est pas une solution acceptable. "Les méthodes d’Iliad, qui a menacé de procès puis refusé de négocier, ne sont pas justes. Cela ne me donne pas envie de céder, même de façon symbolique", explique ce journaliste au chômage qui recense bénévolement des liens vers des sites artistiques.
Marchands contre non-marchands
"Surtout, je pense que, dans mon cas, Iliad n’a aucune chance de gagner un procès, affirme Fabien Maréchal. Mon adresse est un jeu de mots sur le terme ’annuaire’, le contenu et le design de mon site n’ont rien à voir avec celui d’annu.com. Enfin, je ne lui fais aucune concurrence, le site étant 100 % non-commercial, sans même un bandeau de pub."
"Ce que j’attends d’Iliad, c’est un message d’excuse précisant qu’ils font le tri dans leurs attaques et qu’ils vont se concentrer sur les sites qui les concurrencent vraiment en laissant en paix ceux qui ne font que de l’information non-marchande", résume Fabien Maréchal.
Pour ce webmaster bénévole, le revirement d’Iliad est avant tout un signe que la stratégie de riposte médiatique aux pressions juridiques a porté ses fruits. Pour continuer à protester, Fabien Maréchal envisage par exemple, avec d’autres webmasters incriminés, d’inciter les internautes à demander leur désinscription des listes d’annu.com et de 3617 annu.
Pour les webmasters mobilisés, l’autre cible de choix est le fournisseur d’accès gratuit Free.fr, la marque grand public la plus visible parmi les filiales d’Iliad. Fabien Maréchal explique : "Il faut continuer à contacter des médias, pour faire passer le message : Free.fr communique sur la liberté mais finalement, il ne s’agit que d’un slogan publicitaire. S’ils ne sont là que pour faire de l’argent, qu’ils n’empêchent pas ceux qui croient au web non-marchand d’exister." Pour continuer à résister, le webmaster d’AnnuArt a mis en ligne les sites Iladtuelesannu.fr.st et Boycott-free.fr.st.
Freeks, l’association de "freenautes" créée suite à des plaintes de clients contre Free.fr, suit l’affaire de près. Les semaines à venir diront si Iliad, en voulant imposer son droit par la menace juridique, n’avait pas plus à perdre qu’à gagner.