Après le déversement de faux sang sur ses vitres, Pfizer porte plainte contre Act Up
La filiale française du laboratoire pharmaceutique américain Pfizer porte plainte contre Act Up. Le 1er septembre 2003, des militants de l’association parisienne de lutte contre le sida avaient maculé de faux sang plusieurs vitres du laboratoire de Pfizer situé à Montrouge (Hauts-de-Seine). Aujourd’hui, Pfizer dénonce une "dégradation de biens privés" et réclame 2500 euros pour frais de nettoyage. Auditionné le 22 octobre au commissariat de Montrouge, le président d’Act Up, Jérôme Martin, se dit "incapable de débourser cette somme" et dénonce "l’arrogance de ce puissant laboratoire, qui ne cherche même plus à soigner son image".
A travers leur action, les militants souhaitaient dénoncer le rôle qu’a joué Pfizer dans les accords de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur l’accès aux médicaments génériques dans les pays pauvres, signés le 31 août dernier. "La délégation des Etats-Unis était la seule qui comptait dans ses rangs un représentant de l’industrie pharmaceutique, venu de chez Pfizer, explique Jérôme Martin, président d’Act Up. Le texte final a été dicté par la délégation américaine, elle-même guidée par le représentant de Pfizer. Nous voulions dénoncer cet amalgame du commercial et du politique. Amalgame qui s’explique par la puissance des laboratoires pharmaceutiques, qui ont financé la moitié de la campagne de George W. Bush."
Pour l’association française de lutte contre le sida, l’accord intervenu au sein de l’OMC n’est pas une victoire. "Usine à gaz de procédures, le dispositif décrit par l’accord (qui permet aux pays pauvres d’importer des génériques, ndlr) est un véritable parcours du combattant (...) Il renforce la vulnérabilité des pays en voie de développement vis-à-vis de ceux qui ne sont pas favorables aux génériques, comme les Etats-Unis ou l’Europe", peut-on lire dans Action, la revue mensuelle de l’Association, dans un article intitulé "Accord sur les génériques à l’OMC : mort sous brevet".
L’arme des pauvres
Pfizer réclame aujourd’hui 2500 euros de dommages et intérêts à Act Up pour "dégradation volontaire de biens privés". Le président de l’association estime que la facture présentée par le labo est excessive : "Lorsque j’ai été entendu au commissariat de Montrouge, les policiers m’ont montré des photos des dégradations : le faux sang arrive à hauteur d’homme, en aucun cas le nettoyage des vitres du laboratoire ne nécessitera l’emploi d’une nacelle, contrairement à ce que laissent entendre les responsables du laboratoire."
Pour Jérôme Martin, "l’action publique" est justifiée, même si elle conduit à la dégradation de biens privés. Il explique : "Pfizer, qui fabrique et distribue le Viagra, réalise des profits immenses : 9 milliards de dollars pour l’année 2002. Comment lutter ? L’action publique, c’est l’arme des pauvres. On ne dégrade pas des locaux par plaisir, mais par nécessité. Et notre violence n’est rien par rapport aux 10000 personnes qui meurent chaque jour à cause du sida."
Les labos sans complexes
Au-delà de la sanction qu’ils encourent, les militants s’inquiètent de ce nouveau pas franchi dans la guerre qui les oppose aux géants de l’industrie pharmaceutique. "C’est la première fois qu’un laboratoire attaque une association de malades. C’est assez effrayant de constater la réduction de notre marge de manoeuvre en termes de contestation, s’inquiète Jérôme Martin. Après avoir cherché à soigner son image, fragilisée dans les dernières années par la plainte que 39 laboratoires avaient déposé contre l’Afrique du Sud, Pfizer ne se fait plus de soucis et n’hésite pas à s’en prendre aux malades."
Le président d’Act Up attend maintenant la décision du procureur du tribunal de Montrouge, qui doit décider si la plainte de Pfizer est recevable.