Alors qu’un juge américain donne raison à Yahoo !, le Conseil de l’Europe veut interdire le racisme en ligne, mais brouille le débat.
Il est "préférable de permettre l’expression non violente de points de vue offensants plutôt que d’imposer un point de vue gouvernemental réglementant tout discours". Le juge Jeremy Fogel, qui instruisait l’affaire en appel, justifiait ainsi mercredi dernier le fait que Yahoo Inc., société de droit américaine, n’aura pas à se conformer à une décision judiciaire française, qui serait, selon lui, "clairement en violation avec le premier amendement de la Constitution" américaine, censé protéger la liberté d’expression. "Bien que la France ait le droit souverain de réglementer le langage qui est permissible en France, cette cour ne peut faire respecter un jugement étranger qui viole la Constitution américaine en empêchant des discours à l’intérieur de nos frontières." Dans le procès intenté par l’UEJF (Union des étudiants juifs de France) et la LICRA (Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme) contre Yahoo ! l’an passé, Jeremy Fogel a donc décidé de casser le jugement du juge Jean-Jacques Gomez qui souhaitait contraindre le portail américain à interdire l’accès, aux Français, à ses enchères d’objets nazis. Si Yahoo ! a affirmé sa volonté de couper l’accès aux sites racistes de son service d’hébergement Geocities, elle avait fait de ce procès français, et hyper médiatisé, un cas d’école, craignant d’avoir, à l’avenir, à se conformer aux législations et jurisprudences du monde entier. Les propos rapportés par nos confrères de 01Net () ne laissent guère d’ambiguïté quant à la réaction des plaignants. Pour Stéphane Lilti, avocat de l’UEJF, il s’agit d’une mesure d’"impérialisme juridique". Pour Mark Knobel, vice-président de la Licra et comparse du premier dans l’association J’Accuse, "la France n’est pas une République bananière".
"Hébergement abusif" ?
Le Conseil de l’Europe, ce jeudi, a quant à lui décidé de compliquer encore un peu plus la tâche des juristes du monde entier. Au moment d’adopter la très controversée Convention sur la cybercriminalité, l’Assemblée parlementaire a, en effet, rajouté une recommandation décidée à l’unanimité et visant à rajouter un protocole à ladite Convention, en vue d’interdire les sites racistes sur l’Internet. Explications d’Ivar Tallo, le rapporteur estonien de la Convention : "Par exemple, un site raciste français, s’adressant à un public français, mais hébergé sur un serveur situé aux ...tats-Unis, ne pourrait plus se cacher derrière les dispositions de la législation américaine protégeant la liberté d’expression." On rétorquera que la jurisprudence actuelle permet d’ores et déjà de poursuivre ce genre de cas. Et que les enchères de Yahoo.com n’étaient pas en français, et qu’elles ne visaient pas particulièrement les Français, pas plus que la quasi-totalité des sites hébergés sur Front14, que tout cela ne changera donc pas forcément grand chose au problème, à moins d’arriver à faire changer la loi américaine, et la suédoise, entre autres. Cette recommandation vise par ailleurs nommément la notion d’"hébergement abusif", définie comme "l’hébergement aux fins de diffusion sur le réseau informatique de sites contenant de l’information haineuse sous une forme quelconque (texte, image, son ou autre) dans le but de tirer parti d’un régime plus permissif".
Décodage de messages terroristes ?
L’adoption de cette recommandation "à l’unanimité", c’est-à-dire, aussi, avec l’appui des Américains, jusque-là fervents opposants à toute forme d’ingérence dans leur régulation de la liberté d’expression, est beaucoup plus surprenante. Iva Tallo explique, cela dit, que "les événements du 11 septembre ont montré que le discours haineux peut donner lieu à des actions d’une ampleur effrayante. Par conséquent, la technologie moderne doit se doter de mesures de sauvegarde et l’une d’entre elles est l’interdiction du discours haineux sur Internet". Le communiqué de l’Assemblée rappelle par ailleurs qu’elle "a, en outre, déjà recommandé aux gouvernements européens d’envisager l’introduction, dans ce protocole, de mesures permettant de décoder les "messages terroristes"." Mais qu’est-ce donc qu’un "message terroriste" ? À quoi les reconnaît-on, et comment les détecter, les distinguer des autres "messages", et quid de leur "décodage" ? À ces questions, une seule réponse possible : le rapporteur de la Convention sur la cybercriminalité voulait probablement parler des messages chiffrés, mais sa langue a fourché, au point de confondre allègrement cryptage des données (généralement personnelles, et aux fins de protection de la vie privée, ainsi que de sécurisation du commerce électronique) et terrorisme caractérisé. Les défenseurs des droits de l’homme, qui se battent depuis des mois contre ladite Convention et pour la libre utilisation de la cryptographie, apprécieront. Les ...tats membres pourront, quoi qu’il en soit, choisir de ratifier, ou non, ladite Convention à compter du 23 novembre prochain. Elle entrera en vigueur après que cinq ...tats, dont au moins trois du Conseil de l’Europe, l’auront ratifiée. Et qui irait les en empêcher ?