Enfopol, le groupe de travail des forces de l’ordre européennes, a réussi son pari : ouvrir la voie à la surveillance systématique, et par défaut, de toutes les télécommunications.
C’est fait ! L’accord qui vient d’être ratifié par le Conseil des Télécommunications, qui réunit les ministres des Télécoms de l’Europe des 15, entérine la conservation des données de trafic réclamée par Enfopol, le groupe de travail des forces de l’ordre européennes. Jusqu’ici, les données de trafic ne pouvaient en effet être stockées que pour des questions de facturation. Ensuite, elles étaient détruites ou rendues anonymes. Conformément au nouvel accord, les fournisseurs d’accès et de services de télécommunications (Internet mais aussi téléphone...) devront désormais conserver les "logs" (traces) des sessions de leurs clients pendant une durée encore indéterminée. En fait, chaque pays, selon la législation en vigueur, décidera de la durée et du type de données à conserver. Certains n’hésitaient pas, il y a peu, à demander une conservation de sept ans. De son côté, le Conseil de l’Europe, dans son projet de Convention sur le Cybercrime, a finalement opté pour 90 jours, conformément aux recommandations des organisations de défense des droits de l’homme et des instances officielles de protection des données personnelles.
Tous le monde suspect
Ces dernières, réunies au niveau européen au sein du "Groupe 29", ont visiblement plus de mal à se faire entendre de l’Union européenne. "Le stockage systématique et préventif des données de trafic liées aux communications des citoyens européens irait à l’encontre des droits fondamentaux à la vie privée, à la protection des données personnelles, à la liberté d’expression, à la liberté tout court ainsi qu’à la présomption d’innocence. Comment la société de l’information pourrait-elle encore s’affirmer démocratique sous de tels auspices ?", écrivait, il y a peu, Stefano Rodota, président du Groupe 29, dans une lettre rendue publique. Une prise de position qui a obtenu le soutien, de la Commission européenne, elle aussi opposée à cet avenant à la directive européenne sur la protection des données et de la vie privée en matière de communication électronique. Ilka Schroeder, eurodéputée verte, a, quant à elle, déclaré au quotidien Wired qu’elle entendait s’opposer à l’extension des pouvoirs de surveillance accordés aux forces de l’ordre : "Leur objectif est d’être capable de surveiller n’importe quelle communication, surtout si elle est électronique, ce qui transforme tout le monde en suspect. C’est un pas supplémentaire vers la société policière."
Espionnite aiguë
Et de citer en exemple de cette dérive : l’utilisation d’armes à feu contre les manifestants à Göteborg, qu’elle perçoit comme une atteinte au droit de manifester préfigurant la répression qui visera tout opposant désirant protester, voire tout simplement s’exprimer, en ligne. Selon Caspar Bowden, l’un des principaux défenseurs britanniques de la "privacy", les données de communications pourront ainsi être consultés par les forces de l’ordre sans même avoir obtenu de mandat, fait unique en matière policière. Le Parlement européen, qui semble plutôt enclin à accepter les demandes des forces de l’ordre, devrait prendre sa décision sur ce projet en septembre prochain. Ironie de l’histoire, c’est aussi lors de cette session qu’il devra se prononcer sur le rapport d’enquête sur Echelon, le système anglo-saxon d’écoutes et d’interceptions. Les eurodéputés oseraient-ils critiquer frontalement l’espionnite aiguë des ...tats-Unis et de ses alliés, et dans le même temps, renforcer les pouvoirs de surveillance de leurs propres policiers ?