"Le marketing aimerait comprendre comment les internautes lisent une page web" [Guy Barrier]
Ce spécialiste de l’analyse visuelle des interfaces explique "l’eye-tracking" et les risques de détournement
Guy Barrier est docteur en Sciences de l’information et chercheur à l’université de Limoges. Ce spécialiste de "l’eye-tracking", c’est-à-dire l’analyse du parcours oculaire sur une interface interactive, publie un ouvrage intitulé Cybercontrôles, veille numérique et surveillance en ligne aux Editions Apogée. Il nous explique les enjeux de ses recherches.
Comment définiriez-vous "l’eye-tracking" ?
Guy Barrier : L’eye-tracking, qui est aussi utilisée dans d’autres domaines comme la
sécurité routière, permet d’analyser le parcours oculaire d’un utilisateur face à une interface électronique. Et donc de comprendre comment les gens lisent une page d’écran, quelles sont les informations retenues, et pourquoi.
Je participe actuellement à une étude du CNRS, en
partenariat avec l’université de Nice, dans laquelle nous essayons de tester l’impact des différents attributs graphiques d’une page (contraste, couleurs, choix typographiques, emplacement, etc.) sur le trajet des yeux. Le but de ces travaux est de déterminer s’il existe des prédicteurs du comportement oculaire, c’est-à-dire des facteurs permettant d’opérer un guidage de l’oeil de l’internaute.
On sait que le design d’une page joue un rôle décisif sur la représentation de l’information et donc sur l’utilisation qui en sera faite par l’internaute. L’eye-tracking nous permet de reconstruire l’ordre des opérations mentales de l’utilisateur. On peut ainsi voir de quelle façon son attention se dirige vers tel ou tel point de l’écran, comment elle se répartit sur la page.
Travaillez-vous à des applications concrètes ?
Nous travaillons en ce moment pour un projet de module de saisie de curriculum vitae avec la société Advento. Les guichets électroniques se généralisent mais on ne peut pas créer des interfaces trop complexes si l’on veut que l’utilisateur s’y adapte. Quand ce dernier est désorienté, pour l’ergonome, c’est l’interface qui est en cause. Avec une retranscription fidèle du parcours oculaire, on peut tenter de comprendre pourquoi il a commis cette erreur, pour quelles raisons il n’a pas vu telle icône...
Par exemple, lorsque l’interlignage d’un texte est très serré, on se rend compte que l’internaute procède à des regroupements d’unités de sens qui n’ont pas lieu d’être, en capturant des informations contenues dans des lignes contigues (ligne supérieure ou inférieure). Parmi les solutions envisagées, nous expérimentons l’aide vocale , qui pourrait permettre de réorienter l’utilisateur en cas d’erreur.
On suppose que le marketing s’intéresse à votre discipline ?
Les professionnels du marketing sont intrigués et fascinés par les sciences cognitives, mais ils voudraient commercialiser des solutions avant même qu’on les trouve ! Ils attendent un peu la boule de cristal qui permettrait de mieux contrôler le
circuit des internautes. Il y a pourtant des évidences toutes simples, par exemple : moins vous avez de choix proposés dans une page, mieux vous
contrôlez les intentions de l’utilisateur.
Avez-vous des craintes dans ce domaine ?
On sait qu’il existe des corrélations entre le mouvement des yeux et le déplacement de la souris. Autrement dit, entre la visée et la saisie. En
analysant la trajectoire de la souris, on obtient des indices des déplacements de l’attention sur une page. En installant sur l’ordinateur d’un utilisateur, sans avertir ce dernier, un programme de mouse-tracking, une société recueillerait des indications sur les zones de saillance de ses pages internet, mais aussi sur le comportement de l’internaute. Ceci pose naturellement des problèmes d’ordre éthique...