"Les gens sauront boycotter des produits potentiellement nuisibles" [Carole Hayat]
Les consommateurs européens dénoncent la reculade de Bruxelles sur l’analyse des substances industrielles
La Commission européenne a présenté ce matin le texte final de son projet de règlement sur l’évaluation des substances chimiques. Pierre angulaire des directives à venir, un système d’enregistrement, d’évaluation et d’autorisation des principales molécules utilisées dans l’industrie, baptisé Reach (pour "Registration, Evaluation and Authorization of Chemicals") va être mis en place. De nombreuses associations de défense des consommateurs ou de l’environnement dénoncent une version affaiblie par rapport à leurs exigences initiales. Les effets sur la santé de 20 000 des 30 000 molécules identifiées au départ ne seront pas évalués. Le Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC) a fait parvenir une lettre à tous les commissaires européens pointant les reculades sur les conditions d’évaluation des molécules. Caroline Hayat est porte-parole du BEUC.
Quels sont vos griefs vis-à-vis du projet de directive sur l’évaluation des substances chimiques ?
Carole Hayat : Il faut d’abord signaler que la Commission européenne a fait un grand pas en avant en se saisissant de cette question. Il y a une vraie prise de conscience du néant législatif qui prévalait jusqu’ici : on va enfin pouvoir commencer à évaluer la toxicité des produits.
Mais l’industrie (représentée au niveau européen par le lobby Unice, ndlr), a exercé de grosses pressions en agitant les menaces traditionnelles de suppressions d’emplois en cas d’augmentation des coûts : dans l’état actuel du texte, les autorités ne pourront pas obliger les entreprises à ne plus utiliser des substances chimiques dangereuses, même quand des solutions alternatives existent.
Par ailleurs, les rapports d’évaluation sur la sécurité sanitaire et environnementale des substances ne devront être réalisés que lorsque leur production ou leur importation dépasse 10 tonnes par an : cela exclue de tout contrôle 20 000 des 30 000 produits chimiques identifiés au départ. Or, il est prouvé que nombre d’entre eux sont hyper toxiques. C’est le cas des phtalates, des plastifiants qui présentent des risques de cancérigénèse. Ils sont provisoirement interdits dans la fabrication des jouets pour enfants de moins de trois ans car ils peuvent être absorbés lorsque l’objet est léché ou mâché.
Que pensez vous de la position des industriels ?
La protection de l’emploi est certes essentielle (le gouvernement allemand prétend qu’1,7 millions d’emplois étaient menacés par les propositions initiales du Livre blanc sur les substances chimiques, ndlr). Mais l’intérêt des entreprises consiste à répondre aux attentes des consommateurs.
Ces derniers ne sont pas encore bien informés des pollutions qui existent au sein même de leurs maisons, comme vient de le rappeler une étude de Greenpeace.
Attention : les gens sauront boycotter des produits potentiellement nuisibles, ainsi qu’ils l’ont fait pour les OGM.
A condition que leur traçabilité soit assurée, ce que ne garantit pas le projet de la Commission : il n’oblige pas les producteurs d’articles de consommation courante (jouets, ordinateurs...) à fournir des informations sur les substances chimiques utilisées.
Comment allez vous désormais essayer de faire évoluer ce projet de règlement ?
Le texte doit désormais être discuté au Parlement européen. On va donc continuer notre travail de lobbying auprès des eurodéputés, plus souvent sensibles aux préoccupations des consommateurs que les commissaires de Bruxelles. Mais ça ne va pas être facile : les gouvernements français, allemand et britannique font vraiment pression sur l’assemblée de Strasbourg, au nom de la compétitivité des entreprises européennes face à leurs concurrentes américaines.
Le texte de la Commission européenne:
http://europa.eu.int/comm/entrepris...
Bureau européen des unions de consommateurs:
http://www.beuc.org
Le dossier de Greenpeace France sur la toxicité des poussières domestiques:
http://www.greenpeace.org/france_fr...
Le site de l’Unice, principal lobby européen des industriels:
http://www.unice.be