DELIS, un collectif d’associations et de syndicats défendant le droit à la vie privée, dresse un bilan plutôt désolant de la façon dont nos données sont livrées en pâture aux administrations publiques et privées.
La 23e conférence des Commissaires à la protection des données a-t-elle fait la part belle aux entreprises au détriment des structures qui défendent le droit à la vie privée ? Oui, répond, catégorique, Delis (Droits et libertés face à l’informatisation de la société), un collectif d’associations et de syndicats qui militent contre le flicage et le contrôle des citoyens. Une conférence de presse a donc été organisée en marge de ce "Mondial des données" parisien. Pour Daniel Naulleau, universitaire et membre de Delis, le lobbying du secteur privé touche au fonctionnement même de la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés), organisatrice de cette conférence. Pour l’universitaire, cette "autorité indépendante" est "une structure trop juridique où la société civile est fort peu représentée". Autre motif de dépit : les gouvernements successifs - qui se font fort de rappeler que la France fut l’un des touts premiers pays à légiférer sur la protection des données - n’ont eu de cesse, depuis, de chercher à écarter la CNIL de certains dossiers sensibles. Il en est ainsi de l’amendement Brard, adopté en catimini en décembre 1999 et qui permet l’interconnexion des fichiers fiscaux et sociaux alors même que cette question fut à l’origine de l’adoption de la loi "Informatique et libertés" de 1978. Même chose pour la loi relative à la vidéosurveillance, opportunément retirée de la compétence de la CNIL par Charles Pasqua, alors ministre de l’Intérieur, ou encore de la légalisation du STIC, ce Système de traitement des infractions constatées créé lui aussi sous Pasqua en vue d’interconnecter les fichiers policiers. Ce fichier, qui avait valu au ministère de l’Intérieur de recevoir un Big Brother Awards en l’an 2000 pour défaut de conformité à la loi de 1978, fonctionnait donc en toute illégalité depuis 1995...
Texte flasque pour protection molle
La transposition, en droit français, de la directive européenne de 1995 relative aux données personnelles, illustre le manque d’entrain des gouvernements successifs en matière de protection de la vie privée. Alors qu’il aurait dû être adopté depuis 1998, le projet de loi qui organisait cette mise à jour de la loi de 1978, n’a été déposé à l’Assemblée que cet été, soit juste après la légalisation du STIC. Ceci alors que le texte retire justement à la CNIL toute compétence en matière de fichiers de "souveraineté" relatifs à la "sûreté de l’...tat, la défense, la sécurité publique ou la répression des infractions". Autrement dit : la CNIL n’aura plus droit de regard sur les fichiers policiers. Alain Weber, qui représente la Ligue des droits de l’homme au sein de Delis, parle de "texte flasque pour une protection molle", et évoque "un abaissement du niveau de protection malgré des effets d’annonce très forts". Meryem Mazrouki, de l’association IRIS (Imaginons un réseau internet solodaire), rajoute que "très curieusement, le projet de loi ne parle pas de l’Internet et reporte la protection des données personnelles sur le Net à d’autres textes". Le projet de loi sur la société de l’information (PLSI), qualifié de quadrillage administratif d’Internet par IRIS, prend ainsi en charge la conservation, et l’effacement des données de connexion. Or, la nature desdites données n’est pas spécifiée et il est prévu de les qualifier plus tard dans un décret. Exit le débat démocratique, donc. Autres déceptions : "l’instauration de pratiques de contrôle social" au travers des "fichiers sanitaires individuels accessibles par un identifiant permanent du patient (IPP)" dans le cadre de la mise en œuvre du "dossier de santé informatisé". Ainsi que les divers risques d’interconnexion des fichiers au moyen du NIR, ce "Numéro d’inscription au répertoire national d’identification des personnes physiques" que l’on appelle communément numéro de sécurité sociale. Comme le rappelait Daniel Naulleau, alerter l’opinion en matière d’atteintes à la vie privée a longtemps relevé d’une gageure car il faut expliquer en termes simples des problématiques dignes de la novlangue de George Orwell. Seul point positif : l’arrivée du Net aurait permis à la "jeune génération" de s’y intéresser comme jamais auparavant.