Surprenantes découvertes sur leurs capacités évolutives et leur virulence soudaine
En étudiant le génome d’une dizaine de virus, des chercheurs du Howard Hughes Medical Institute ont découvert que ces micro-organismes agissent comme des bourses d’échanges de gènes, aussi bien entre eux qu’avec les cellules qu’ils parasitent.
Jusqu’ici, on pensait que les virus se contentaient de muter pour évoluer. En fait, certains d’entre eux semblent capables d’emprunter au hasard des gènes de leurs hôtes. Cette découverte pourrait amener les biologistes à reconsidérer le rôle des virus dans l’évolution des espèces, notamment dans l’apparition de nouvelles pathologies infectieuses.
10 000 milliards de milliards de milliards de phages
L’équipe internationale de biologistes à l’origine de cette découverte, menée par les Américains Graham Hatful et William Jacobs s’est intéressée aux micro-organismes les plus répandus et les plus simples sur Terre : les mycobactériophages (ou phages). On estime que, toutes variétés confondues, notre planète abrite près de 10 000 milliards de milliards de milliards (1 suivi de 31 zéros) de phages. Ces derniers parasitent de nombreuses espèces de bactéries, notamment celles de la lèpre et de la tuberculose. Certains d’entre eux peuvent rendre pathogènes certaines bactéries inoffensives en les infectant. C’est le cas pour la bactérie intestinale E. Coli.
De l’ADN errant
Avant d’infecter une cellule, un phage est un fragment d’ADN libre associé à quelques protéines. Il parasite les cellules en s’insérant dans leur propre ADN. La cellule ainsi infectée exprime alors les gènes inscrit dans l’ADN du virus et finit par en mourir d’épuisement, non sans avoir produit des milliers de copies du phage qui infecteront de nouvelles cellules.
Jusqu’ici, seules quatre souches de phages avaient pu être isolées génétiquement. Hatful et ses collaborateurs en ont identifié une dizaine de nouvelles dans des prélèvements effectués dans les détritus de zoos, de jardins et d’hôpitaux. Leurs travaux sont publiés dans la revue Cell.
Des gènes par milliers
Alors qu’ils s’attendaient à retrouver une grande similarité génétique entre tous les phages étudiés, les biologistes ont eu plusieurs surprises. D’abord ils ont constaté que la longueur de l’ADN des phages étudiés variait du simple au triple selon la souche du virus. Ensuite, en décryptant la séquence de cet ADN, les biologistes ont pu s’apercevoir que sur près de 1600 gènes identifiés, seul 1 était commun à plus de 2 souches parmi les 14 phages étudiés.
Pour Hatful, cette découverte "suggère que si nous extrapolons ces résultats à l’ensemble des variétés de phages, leur diversité génétique est plus grande que tout ce qui avait pu être imaginé". D’autant que 50% de ces gènes détectés n’étaient jusqu’alors répertoriés dans aucune base génétique !
Un génome mosaïque
Encore plus surprenant, l’article de Cell indique que certains gènes retrouvés dans les phages avaient déjà été séquencés dans le génome de certaines bactéries ou de cellules animales. Dans l’ADN des phages, on a ainsi isolé le gène qui est responsable de la virulence des bactéries causant la tuberculose ou la lèpre.
Pour les auteurs de l’article, ces observations démontrent qu’à chaque réplication, l’ADN des phages peut se recombiner au hasard avec certains des gènes de la cellule infectée. Un "échangisme" génétique totalement inattendu : les phages peuvent puiser dans le génome de leurs hôtes et accroître brusquement leur virulence. En clair, ces virus sont capables de s’auto-modifier génétiquement. Une propriété qui accélère les processus d’évolution et de sélection naturelle. Elle pourra peut-être permettre d’expliquer la soudaineté de l’apparition de certains agents infectieux.