Comment éviter un rejet dans l’opinion publique ? Un enjeu de taille pour l’infiniment petit...
Le débat éthique sur les nanotechnologies refait surface, dans le cadre d’un projet de loi visant à favoriser leur essor aux Etats-Unis. Une série d’auditions et d’études présentent les dangers et bénéfices potentiels de cette science appliquée de l’infiniment petit. La loi devrait être présentée à la Chambre des représentants le 30 avril et votée dans le courant de l’année.
Le 9 avril dernier, la commission scientifique de la Chambre des
représentants américaine organisait une audition pour évaluer les
"implications sociétales des nanotechnologies".
Divers experts étaient convoqués pour donner leur position sur cette science de l’infiniment petit, censée révolutionner de nombreux champs d’activité, de la médecine à l’industrie, en passant par le militaire.
Risques et espoirs à la loupe
Encore balbutiantes, ces technologies utilisent les propriétés électriques, chimiques et physiques des éléments, directement au niveau des atomes. Depuis plusieurs années, ONG et scientifiques soulignent les risques potentiels liés au développement des nanotechnologies. Encore hypothétiques, ceux-ci sont à la mesure de ce qu’elles permettent d’espérer.
Devant le House Committee on Science, réuni en audition, Ray Kurzweil, un scientifique américain influent aux idées très radicales, a plaidé la cause des nanotechnologies : "Malgré les appels à suspendre les recherches sur les nanotechnologies, nous n’aurons pas d’autre choix que de relever ce défi (...) Les avancées dans les nanotechnologies et les autres technologies d’avant-garde sont inévitables." Kurzweil résumait ainsi l’état d’esprit des pro-nanotechnologies, venus mettre en garde les politiques contre toute mesure limitant la recherche.
Le projet de loi, intitulé "H.R. 766, The Nanotechnology Research and
Development Act of 2003", a pour but principal "d’établir un programme national d’investissement dans la recherche et l’éducation, et d’accélérer les applications commerciales dans le secteur privé".
Le texte prévoit d’autoriser la Fondation nationale des sciences, un
organisme fédéral, à accorder des crédits publics supplémentaires à la recherche nanotechnologique. Ils seront portés à 424 millions de dollars par an en 2006. En 2002, les dépenses de recherche et développement aux Etats-Unis dans la totalité du secteur étaient estimées à 604 millions de dollars.
Mises en garde répétées
Face à ce développement programmé, les mises en garde contre les dérives potentielles des nanotechnologies se multiplient. En février 2003, un rapport du Joint Centre for Bioethics de l’université de Toronto dénonçait le "fossé" qui se creuse entre la science et l’éthique dans ce domaine.
Le 14 avril, un autre document publié par l’ONG canadienne ETC Group (Action Group on Erosion, Technology and Concentration), appelle même à un moratoire mondial sur les recherches nanotechnologiques.
Parmi les dangers qu’elles pourraient représenter, figurent leurs applications militaires. L’armée américaine compte parmi les plus gros investisseurs dans le secteur. Elle envisage de nombreux débouchés, comme des nanorobots capables de détruire des blindages ennemis.
L’échelle de l’infiniment petit pose également un problème de contrôle et de transparence : des caméras, des micros et des appareils surveillance nanoscopiques, par définition invisibles, seraient par exemple une menace pour la protection de la vie privée.
La médecine envisage l’introduction de nanorobots dans le corps, ce qui
pourra soulever des problèmes éthiques similaires à ceux posés par les
modifications génétiques.
Le spectre de la gelée verte
Mais le scénario le plus noir mis en avant par les opposants aux
nanotechnologies est celui d’une prolifération incontrôlée des nanorobots. Pour fonctionner, ces derniers doivent en effet être extrêmement nombreux et peuvent pour cela être dotés d’une capacité d’auto-reproduction. Un problème dans ce mécanisme engendrerait un risque pour l’environnement difficile à évaluer, les nanorobots n’ayant pas toujours vocation à agir dans un milieu confiné.
Ce scénario est appelé "gelée grise" et constitue la base de Prey, le
dernier best-seller de science-fiction de l’Américain Michael Crichton, dans
lequel une nuée de nanorobots s’échappe d’un labo et devient un prédateur
envahissant.
L’ONG canadienne ETC Group souligne que les
nanorobots n’ont pas encore de capacité à s’auto-répliquer. Mais ses responsables voient un danger plus probable dans la fusion en cours entre nanotechnologies et biotechnologies, qui donnerait des nano-robots hybrides, mécaniques et organiques : la "gelée verte".
"Nous avons l’opportunité de prendre en compte les possibles enjeux sociaux, légaux, éthiques et philosophiques qui naîtront à mesure que grandit l’industrie des nanotechnologies", a résumé le député démocrate Mike Honda, lors des auditions du House Committee on Science. "Des enjeux similaires ont été oubliés dans la génétique et le développement de l’internet et maintenant, nous luttons avec les questions de discrimination génétique, de vie privée et de propriété intellectuelle."
Dans son volet d’évaluation et de prévention des risques éthiques liées aux nanotechnologies, le projet de loi compte "établir un comité associant différentes agences gouvernementales, sur la recherche et développement en nanotechnologies".
Pour devancer les problèmes, le sénateur Mike Honda a proposé lors des auditions de créer "un comité consultatif composé d’experts, dont la seule responsabilité serait de gérer les conséquences inattendues, avant qu’elles ne se présentent".
L’entité chargée de cette délicate mission ne devrait pas être une nouvelle structure dédiée aux nanotechnologies mais pourrait dépendre du Council of Advisors on Science and Technology (PCAST), une instance consultative dépendant de la présidence américaine.
Soucieux que les nanotechnologies ne suscitent pas, comme les OGM, de rejet dans l’opinion publique, les politiques américains ne semblent pourtant pas vouloir changer de recette.