"Pas besoin de savoir programmer pour faire interagir mouvements, images et sons" [Emmanuel Fléty]
Un ingénieur de l’Ircam décrypte la panoplie informatique des artistes multimédia
Schlag !, le spectacle multimédia qui se déroule jusqu’au 22 juin 2003 à Paris, a été créé grâce à un ensemble de logiciels créés à l’Ircam (l’Institut de recherche et coordination d’acoustique/musique), d’après des outils de développement proposés en libre accès sur internet. De plus en plus d’artistes utilisent ces langages de programmation pour capter sons, mouvements et images, et les faire interagir en temps réel. Les explications d’Emmanuel Fléty, ingénieur à l’Ircam.
De nombreux artistes utilisent EyesWeb, le logiciel sur lequel vous vous êtes appuyé pour créer les animations en temps réels de Schlag !. Quel intérêt présente ce type d’outils ?
Emmanuel Flety : Eyesweb est un logiciel qui tourne sur PC, sous Windows. Développé par le laboratoire d’informatique musicale de Gênes, en Italie, il est téléchargeable gratuitement sur le Net. Ce n’est pas un logiciel figé, mais ce que l’on appelle un environnement de développement. Nombre de projets, par exemple ceux qui font intervenir la vidéo, ont fait l’objet de programmes informatiques dédiés. Mais chaque fois qu’on veut de nouveau créer un programme avec ce genre de logiciel dédié, il faut presque tout reprendre à zéro, refaire l’interface utilisateur et collaborer avec des programmeurs pendant des jours.
Eyesweb (mais également des environnements comme Max, jMax ou Pure Data) ont pris le parti de la programmation dite "visuelle". Pour cela, on dispose d’une "page blanche" sur laquelle on place des "objets". Les objets sont programmés par des lignes de codes, rédigées en langage C et C++. Ils se présentent de manière "abstraite" sous la forme de carrés à déplacer. Chaque carré est illustré par une icône. On relie alors les objets par des cordes pour fabriquer l’algorithme ou le programme. Les données (l’image vidéo, dans le cas d’EyesWeb) circulent alors d’objet en objet (via les cordes) pour déboucher sur le résultat souhaité.
Certains utilisateurs et programmeurs créent de nouveaux objets qu’ils mettent à disposition de la communauté. Des non-programmeurs peuvent ainsi accéder aux développements réalisés par d’autres utilisateurs. D’autre part, ces environnements permettent ce qu’on appelle l’abstraction : à partir des objets de base, qui remplissent des fonctions relativement "simples" et unitaires, on peut créer une fonction plus complexe qu’on rend abstraite en la rangeant dans une "boite". Un peu comme des poupées russes. Ainsi, on peut manipuler une fonction complexe sans visualiser ce qu’il y a dedans. L’avantage : on peut créer des processus assez complexes sans jamais avoir à écrire de langage informatique C.
A quoi sert EyesWeb à l’Ircam ?
A faire de l’interaction en temps réel avant tout, surtout dans le cas de Schlag !. Nous l’utilisons également de plus en plus pour les créations qui mêlent danse et musique. L’analyse du geste dansé peut servir à créer des structures musicales cohérentes avec la danse, ou bien en contrepoint, etc. On peut aussi se servir du flux gestuel pour contrôler de la synthèse, des traitements sonores, ou de la spatialisation des sons. Il n’y a pas forcément une lisibilité directe entre ce qui est capté (les mouvements, les images, etc.) et le son, tout dépend de ce que cherche le compositeur et/ou le
chorégraphe. Cela varie en fonction de la stratégie de "mapping", c’est à dire la mise en correspondance entre les paramètres captés et ce qu’on en fait.
Ce type de logiciel est-il facile à utiliser par un non-informaticien ?
C’est un peu difficile si on ne possède ni notions d’algorithmie (savoir décrire un processus en différentes étapes), ni notions de traitement d’image. Il n’est pas nécessaire de savoir programmer en langage informatique évolué, en Pascal, C ou C++, pour créer ses propres applications et faire correspondre des mouvements et du son par exemple. C’est le but de la programmation visuelle.
Une personne qui a un peu l’habitude de l’image en général, et qui connait un peu les logiciels d’animation Flash ou Director, peut rapidement arriver à bidouiller... Notons que les tutoriaux, pédagogiques et très bien faits, permettent d’avancer très rapidement. Il existe aussi des forums de discussion en ligne sur lesquels on peut poser des questions et obtenir des réponses rapidement, car la communauté est très réactive.
Dans le domaine du multimédia en général, et de la musique en particulier, de plus en plus d’artistes délaissent les logiciels commerciaux pour développer leurs propres applications à l’aide de ces outils de programmation. Pourront-ils bientôt se passer des programmeurs ? Les ingénieurs de l’Ircam sont-ils appelés à disparaitre ?
Il ne sera jamais question de supprimer l’ingénieur ou le programmeur du processus de création. Le compositeur ne peut pas passer son temps à chercher les bugs d’un programme informatique... Mais il doit absorber suffisamment l’outil pour pouvoir l’intégrer dans le processus d’écriture musicale et rompre avec la technologie "saupoudrée" des logiciels "préconçus" dédiés à ce genre d’applications.
Aux Tuileries, Schlag! repousse les limites du spectacle multimédia (Transfert.net):
http://www.transfert.net/a8945
Le site de Schlag! (informations et renseignements pratiques):
http://agora.ircam.fr/article.php3?...
Le site de l’Ircam:
http://www.ircam.fr
Le site d’Eyesweb, avec téléchargement gratuit du logiciel:
http://www.eyesweb.org
Le site du Laboratoire d’informatique musicale de l’université de Gênes:
http://musart.dist.unige.it
Un site dédié aux technologies d’interaction en temps réel:
http://www.artsens.org