A compter du 1er octobre 2003, il ne sera possible d’accéder aux Etats-Unis sans visa que si l’on est doté d’un passeport "sécurisé", comportant un code numérique à lecture optique. La décision américaine, notifiée à la France le 20 juin, entraîne le fichage automatique des voyageurs. Elle intervient quelques jours après que le Sénat américain a suspendu les crédits de CAPPS II, un programme plus large qui vise au fichage systématique des passagers aériens, vivement décrié par la Commission européenne, qui le jugeait dangereux pour la vie privée.
Le porte-parole du Quai d’Orsay
a annoncé le 24 juin avoir reçu une notification des autorités américaines en date du 20 juin. Si la décision américaine "ne
vise pas particulièrement la France ou les Français", elle "pénalisera ceux qui souhaiteront se rendre aux Etats-Unis pour convenance personnelle, pour affaires ou pour tourisme à partir du 1er octobre prochain et qui ne seront pas titulaires d’un passeport sécurisé", a-t-il résumé.
En effet, le site web de l’ambassade des Etats-Unis confirme que "toutes les personnes (y compris les enfants, quel que soit leur âge) qui souhaitent se rendre aux Etats-Unis sous couvert du Programme d’exemption, c’est-à-dire SANS VISA, devront présenter un passeport individuel à lecture optique".
Les citoyens des 27 pays - essentiellement occidentaux et européens - concernés par cette
mesure n’avaient jusqu’alors pas besoin de l’obtention d’un visa pour se
rendre aux Etats-Unis.
Le site du ministère français des affaires étrangères précise que cette mesure ne vise que les "séjours touristiques ou
d’affaires de moins de 90 jours" : les personnes se rendant aux Etats-Unis "pour des
séjours de plus de 90 jours ou dont l’objet n’est ni touristique ni d’affaires", ainsi
que les détenteurs d’anciens passeports, "restent soumis à l’obligation de visa".
Vers un fichage automatisé
Le "passeport sécurisé à lecture
optique",
délivré depuis 2001 en France, "s’inscrit dans la politique française de sécurisation des
documents d’identité qui a été lancé par la carte nationale d’identité sécurisée".
Surnommé "passeport
Delphine" (pour DELivrance des Passeports à Haute INtégritE, du nom du
logiciel utilisé), ce document comprend deux lignes de codes lisibles par la machine et compilant les nom et prénom, la nationalité, la date de naissance, le sexe, le numéro du passeport, sa date d’expiration, ainsi que trois autres identifiants sous formes de couples de chiffres et de lettres dont nous n’avons pas réussi à déterminer la fonction. Enfin, le passeport sécurisé porte une photo numérisée de son titulaire.
L’une des principales différences du passeport Delphine avec l’ancien modèle : Il comporte une zone de lecture optique conforme aux spécifications de l’International Civil Aviation Organization concernant les "documents de voyage lisibles par machine" (Machine Readable Travel
Documents ou MRTD).
Ces spécifications prévoient entre autres que les documents doivent pouvoir être comparés à des
listes noires de passeports falsifiés ou de personnes non-autorisées à entrer sur tel ou tel territoire. Progressivement, des données biométriques (empreinte prise sur les doigts, l’iris de l’oeil ou le visage) devraient y être ajoutées. De plus, les spécifications concernant les documents de voyage numérisés prévoient que les informations, couplées aux fichiers que possèdent les compagnies d’aviation aériennes, peuvent être transmises à d’autres bases de données (douanes, services d’immigration, forces de l’ordre et services de renseignements, etc.).
Pour bénéficier du Programme d’exemption de visa américain (Visa Waiver Program ou VWP), il ne suffit pas d’être titulaire d’un passeport sécurisé à lecture optique conforme au MRTD. Il faut aussi avoir pour destination de retour un pays ne jouxtant pas les Etats-Unis, ne pas constituer de "menace de sécurité" pour le pays et ne pas faire partie de la base de donnée électronique des personnes non-admissibles sur le territoire américain.
Le ministère des Affaires étrangères rappelle que pour obtenir un visa, il faut fournir beaucoup plus de renseignements à l’administration que ce que contient un passeport sécurisé.
Vie privée et libertés civiles
D’inspiration similaire, le programme CAPPS II (Computer Assisted Passenger Pre-screening System II), qui prévoit le fichage systématique des passagers aériens à destination des Etats-Unis et le recoupement de ces informations avec les bases de données policières américaines, a été suspendu provisoirement le 17 juin par une commission du Sénat américain (voir notre article).
Si CAPPS II devra attendre que l’administration américaine prouve qu’il "n’affecte pas la vie privée et les libertés civiles des passagers", la décision américaine du 20 juin rendant obligatoire le passeport sécurisé atteint tout de même certains de ses objectifs : toute personne bénéficiant du programme d’exemption de visa américain sera automatiquement fichée dans une ou plusieurs bases de données gouvernementales américaines. Le passager ne saura pas où ses données personnelles seront conservées, ni dans quel but et il ne pourra pas y accéder ou les modifier. Autant de manques dénoncés par la commission sénatoriale à propos de CAPPS II...
En 2001, date à laquelle il fut déployé, le passeport sécurisé Delphine avait été nominé
aux Big Brother Awards
France, une cérémonie organisée par plusieurs associations pour décerner des prix aux entités accusées d’atteintes aux libertés et à la vie privée. Le jury des BBA déplorait le fait qu’il n’existe "aucune information disponible pour connaître l’accès aux fichiers où sont répertoriées les données personnelles du citoyen, ni possibilité
d’échapper au fichage".
Gagner du temps
Les passeports Delphine sont déjà en circulation. Le ministère de l’Intérieur affirme qu’il a équipé les préfectures et sous-préfectures françaises avec le matériel nécessaire en 2001. Depuis cette date, 2 millions de passeports sécurisés seraient fabriqués et délivrés chaque année en France.
La situation des Français de l’étranger semble par contre poser problème. Les expatriés devaient initialement faire partie des premiers bénéficiaires des passeports Delphine. Pourtant, le ministère des
Affaires Etrangères annonce
dans sa déclaration du 24 juin que "la délivrance de ce passeport dans les consulats français à l’étranger n’est pas possible actuellement compte tenu des caractéristiques technologiques de ce passeport. Par conséquent, la délivrance des passeports sécurisés aux Français de l’étranger sera centralisée en France, ce qui impliquera nécessairement des délais."
Pour faire face à la décision américaine, le porte-parole du Quai d’Orsay dit vouloir gagner du temps : "Compte tenu de la brièveté des
délais qui nous sont imposés, la France va demander aux autorités américaines le report
de quelques mois de la date du 1er octobre 2003". A plus long terme, il se pourrait que la France s’associe à d’autres pays parmi les 27 qui bénéficiaient jusqu’ici du régime d’exemption de visa, pour déposer une plainte contre les Etats-Unis. Mais cela n’est pas encore officiel.
Contactés aujourd’hui par Transfert, le ministère de l’Intérieur, en charge du volet technique du passeport, et la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), chargée du respect de la protection des données personnelles, n’ont pas été en mesure de répondre à nos questions.