C’est cette semaine à San Francisco que s’ouvre le procès en appel opposant le plus célèbre site gratuit d’échanges de fichiers musicaux à l’industrie du disque. Un procès dont les enjeux sont cruciaux.
Le troisième acte de la tragicomédie Napster-RIAA s’ouvre lundi 2 octobre à San Francisco. D’un côté, Napster, le plus célèbre site d’échange de fichiers MP3 du Net avec ses 5 millions de visiteurs uniques, poursuivi depuis fin 1999 pour violation de copyright. De l’autre, la RIAA (Recording Industry Association of America), le syndicat de l’industrie discographique rassemblant les géants américains de la musique (Time Warner, Sony Music, BMG, Seagram Universal, EMI) prêts à en découdre avec le site californien. Les trois juges de la Cour du 9e circuit d’appel de San Francisco, quant à eux, devront décider si effectivement, Napster doit fermer ses portes, comme l’a demandé la juge new-yorkaise Marilyn Patel, le 26 juillet dernier.
Trois textes à examiner
La magistrate avait estimé que Napster, "un monstre" selon ses propres termes, contrevenait à deux textes de loi et à une décision de jurisprudence. Premier round victorieux, donc, pour la RIAA. Mais voilà : deux jours plus tard, les juges d’une cour d’appel de San Francisco suspendaient l’injonction préliminaire, en attendant qu’un jugement soit rendu "sur le fond". Aux juges de la Cour d’appel de déterminer si la juge Patel a correctement interprété les trois textes suivants :
L’Audio Home Recording Act (AHRA) de 1992. C’est cette loi que les avocats de Napster invoquaient pour faire valoir le bon droit de leur client : elle autorise en effet tout individu à copier de la musique, pour un usage strictement personnel. Mais, a estimé la juge Patel, l’AHRA s’applique aux équipements comme les chaînes hi-fi, pas aux logiciels.
Le second texte de loi est leDigital Millenium Copyright Act (DMCA). Le but de cette loi complexe était de protéger la technologie. C’est un régime d’exception, préservant les fournisseurs d’accès Internet et moteurs de recherche de poursuites judiciaires pour violation de copyright. Les avocats de Napster ont naturellement tenté de se parer de la DMCA. Mais non, a dit la juge Patel, ça ne marche pas pour le site californien.
La cour d’appel devra enfin examiner une décision de justice faisant jurisprudence, qui s’appelle la "Betamax decision". Elle a été prise en 1984 par la Cour Suprême, laquelle a estimé que si une technologie était plus souvent utilisée pour des activités légales (dans le cas de Napster, écouter de la musique chez soi) qu’illégales (faire des CD pirates), elle pouvait continuer à exister. Là encore, la juge Patel a pris une position contre Napster, estimant que le site de San Mateo ne pouvait s’en prévaloir.
Pouvoir industriel contre pouvoir politique
On le voit, c’est donc la conception même du copyright américain qui est en jeu dans ce procès. Et c’est dans cette optique que les deux partis se sont trouvées des alliés essentiels : fin août, les géants de l’industrie en ligne, comme AOL, Amazon ou Yahoo ! prenaient la défense de Napster estimant que sa fermeture serait un accroc à la fameuse "Betamax decision" qui les protège, eux aussi. Mais dix jours plus tard, la RIAA, elle, a carrément mis le gouvernement américain de son côté, lequel a jugé Napster "illégal". D’un côté, le pouvoir industriel, de l’autre, le pouvoir politique : les juges de la cour d’appel ont tout intérêt à réviser leur manuel de diplomatie.