Deux anthropologues américains soulignent l’analogie entre les techniques de recherche d’information sur Internet et celles employées par les chasseurs primitifs et les animaux.
On a beau passer des heures branchés sur la grande toile informationnelle mondiale, on n’en reste pas moins, au fond, un homme des cavernes. Peter Pirolli et Stuard Card, deux chercheurs d’un centre de recherche de la firme Xerox, situé à Palo Alto (Californie), ont tenté d’appliquer les théories anthropologiques sur la quête de nourriture au comportement d’un internaute à la recherche d’information sur le Web. Selon les deux scientifiques, cette transposition pourrait être riche d’enseignements pour les concepteurs des moteurs de recherche et des bases de données sur le Web.
Comme un Bushman
Considérons un bushman affamé, arpentant le Kalahari en quête de sa pitance. Il a faim, et deux possibilités s’offrent à lui : d’un côté il y a ce bon gros lapin, bien gras, mais qui bondit à toute allure dans les broussailles. Et puis il y a cette petite musaraigne. Certes, elle sera moins goûtue, mais elle devrait être bien plus facile à attraper. Les règles de l’écologie expliquent que le choix de la cible relève d’un calcul coût-bénéfice, mesuré en joules, entre l’énergie que va apporter la proie une fois boulottée et celle que le bushman va devoir dépenser pour l’attraper. Le calcul se complique si l’on considère que les ressources en nourriture ne sont pas réparties uniformément sur le territoire du chasseur. Plus un chasseur restera longtemps sur un terrain de chasse particulier, plus les ressources de ce dernier vont diminuer. Mais le temps passé à rechercher un nouveau terrain ne rapportera rien au bushman. Á partir de quand est-il raisonnable qu’il parte en quête de nouveaux horizons ? La stratégie optimale consiste à se mettre en marche lorsque le rapport coût-bénéfice d’un terrain de chasse particulier tombe en dessous de celui de l’ensemble de la région (les bushmen font d’excellents comptables).
Pour Pirolli et Card, tous ces calculs peuvent être appliqués à l’internaute. Il semble que la technique de navigation sur le Web puise ses ressources "dans les profondes racines de l’évolution". Laissons le bushman à ses rongeurs, et observons l’analyste financier qui aimerait bien trouver des données fraîches sur une société cotée au Nasdaq. Il est depuis longtemps familier d’un bon portail d’information économique, mais qui commence à être un peu faisandé. Il voudrait en utiliser un nouveau, mais il sait que le temps qu’il va passer à le trouver sera perdu, improductif. Comme le bushman, l’analyste tente de maximiser son rapport coût-bénéfice, le bénéfice étant l’intérêt de l’information finalement débusquée, le coût correspondant au temps passé à lui mettre le grappin dessus.
L’analogie va plus loin. Les deux anthropologues californiens ont découvert que grâce à un processus d’association d’idées et de mots-clefs propre à chaque individu, un internaute peut, avant d’entamer sa recherche, avoir l’intuition que telle information a de bonnes chances de se trouver dans telle direction plutôt que dans telle autre. Pirolli et Card appellent ça "l’odeur de l’information " : les chaînes de mots-clefs laissent derrière elles une piste, "exactement comme un point d’eau fréquenté par des mammouths laineux sent le mammouth laineux."
Un site Web n’est pas un gnou
Malheureusement, la transposition de la logique du chasseur primitif carnivore vers celle de l’homo informativore a des limites. La valeur d’une information ne peut pas se calculer avec autant de précision que l’apport calorifique d’un civet de lapin. Le terrain de chasse du bushman évolue infiniment plus lentement que celui de l’internaute. Et puis l’informativore, de même que ceux qui lui fournissent sa nourriture sur le Web, peuvent activement manipuler leur environnement, ce qui est impossible pour le bushman (un gnou reste un gnou). Stuard Card donne l’exemple des bannières de publicité, en particulier celles qui affichent de faux boutons. Elles agissent comme la fleur carnivore leurrant les mouches : elles imitent l’odeur de la charogne.