Chercheur au Massaschussets Institute of Technology, Joe Davis, 50 ans, fait de "l’art biologique". Architecte de formation, il a créé cette année des "molécules artistiques" qui contiennent des messages écrits en code ADN.
Joe DavisDR |
Comment êtes-vous passé de l’architecture à la biologie moléculaire ?
En tant qu’étudiant, professeur, puis chercheur, je suis installé au MIT (Massaschussets Institute of Technology) depuis 20 ans. J’ai commencé à m’intéresser à la biologie moléculaire en 1990. C’était un mouvement logique. L’architecture de la vie est la moins visible mais la plus élégante.
Que comprend le public quand il voit vos oeuvres ?
Pour les molécules artistiques, le public ne voit que des bactéries dans des boites en plastique. Pour lire le message, il faut aller dans un labo et déchiffrer le code ADN. À Ars Electronica, nous avions construit un petit laboratoire et les gens venaient nous voir et nous assaillir de questions. C’est vrai qu ?on apprécie mieux mes oeuvres quand on a des connaissances en biologie, mais on voit que le dialogue s’instaure grâce à l’oeuvre. C’est un peu comme un poème : ce n’est pas la même chose de l’entendre récité par l’auteur que de le lire sur papier. Il y a aussi deux niveaux de compréhension.
Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?
Notre prochain projet est d’introduire une carte de la voie lactée dans le génome d’une souris. Toutes les informations seraient contenues dans un infogène, qui se transmet à la descendance mais ne s’exprime pas sur l’animal. Ma motivation est désespérément romantique, mais c’est aussi une réflexion sur le futur de l’archivage, car l’ADN permet de stocker des milliards de fois plus de données qu’un CD-Rom.
Comment financez-vous vos projets ?
On est face à un dilemme : les bourses scientifiques considèrent nos projets comme trop artistiques, et inversement. C’est le même problème dès qu’une forme d’expression est innovante. En plus, aux Etats-Unis, il y a très peu de programmes publics pour l’art en général. On veut faire de nous des entrepreneurs. Alors on est obligé de détourner les programmes et de faire dans le système D. Nous avons besoin de 8 000 dollars (environ 56 000 F) pour la souris, que nous réunissons en vendant dans les expos des sachets de bactéries à faire vivre chez soi ou en réalisant des commandes de sculptures classiques.
Rencontrez-vous des réactions de rejet ?
Le milieu artistique est conservateur vis-à-vis de la génétique et de la biologie. D’ailleurs, rappelez vous la résistance que le milieu a opposé aux ordinateurs jusqu’à récemment. Sinon, nous avons été violemment attaqués par le public en juin dernier, lors d ?une conférence à Banff, au Canada. Des écologistes et des fermiers bio voyaient dans nos oeuvres le problème de mondialisation, du féminisme ou des trains de fret qui tuaient les ours dans le nord du pays. On se serait cru à Seattle ! Pourtant, nous sommes génétiquement modifiés depuis 15 000 ans ! Même la tomate la plus bio du monde n’est pas naturelle ! De plus, nous devons prendre des précautions extrêmes. Pour chaque expo, nous assurons l’endiguement physique et biologique. Même si nos bactéries pouvaient voler et s’enfuir, nous avons fait en sorte qu’elles ne puissent survivre hors de leur boîte.