« On est tous prêts à croire n’importe quoi. » De son credo, Frédéric Royer a fait un genre : la fausse rumeur. Des faux mails de Total à la Miss France masculine...
Pour cette fin d’année, nous vous proposons de découvrir ces artistes-activites d’un autre genre (une enquête parue dans Transfert magazine n°20).
Déjà publié :
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« On est tous prêts à croire n’importe quoi. » Voilà résumé le credo de Frédéric Royer, un journaliste parisien de 36 ans, qui porte le costume sans cravate et s’exprime bien, surtout quand il s’agit de raconter des histoires. Pour sa première grande rumeur en ligne, il a pris pour cible Total, alors en plein naufrage médiatique lors de l’affaire de l’Erika. « Il y avait déjà des pétitions pour le boycott qui circulaient sur Internet et je me suis souvenu de l’affaire David Hirschman, cet étudiant d’HEC qui avait envoyé par erreur un mail sexiste aux milliers d’étudiants de son école. » Frédéric Royer rédige donc un faux échange d’e-mails entre les dirigeants de Total, où ceux-ci proposent de gérer la marée noire en faisant appel aux renseignements généraux, en lançant de fausses pétitions et en intentant des procès aux protestataires écologistes. Scandale. « J’étais complètement parano. Je suis allé dans un cybercafé avec un bonnet et des lunettes de soleil et j’ai envoyé le mail à deux cents internautes lambda. La rumeur a fait reste... » Le canular fait en effet le tour du Net français et quand une grande chaîne belge reprend l’info dans son JT, les médias classiques s’en emparent. « Il y a eu des dizaines d’articles qui, suite au démenti de Total, ont fini par expliquer la supercherie, mais personne n’est remonté jusqu’à moi », savoure encore le faussaire. Avec ce coup d’essai et de maître, Frédéric Royer renforce sa vocation.
Pourquoi se casser le cul ?
Auparavant, son « milieu petit bourgeois du Vesinet bien assumé » l’avait conduit en école de commerce, puis au service commercial de Saint Gobain, dont il a été « sauvé » grâce à une rencontre avec Stéphane de Rosnay, le père d’Infos du Monde. Ce personnage odieux, mais attachant, devient son « meilleur ennemi » et l’engage dans son célèbre hebdo d’informations bidons. Après l’arrêt d’Infos du Monde et l’affaire Total, Frédéric Royer pige dans divers journaux dont Max et Marianne, et continue de perpétrer la tradition de la rumeur en lançant l’Examineur, « un site hybride entre The Onion.com et Infos du Monde ». Sous divers pseudos, il abreuve, chaque jour, un millier de visiteurs de fausses informations directement sorties de son cerveau fertile. Et touche encore juste, comme lorsqu’il fait croire à sa propre incarcération par le ministère de l’Intérieur pour « atteinte à la sûreté de l’...tat ». « Ce n’était qu’une pirouette parce que je n’avais pas le temps d’écrire d’articles cette semaine-là. Là encore, ça a tout de suite pris et le site a eu deux fois plus d’audience que quand je me cassais le cul à écrire », se rappelle Frédéric Royer qui a ensuite surfé sur la vague en inventant de nouveaux épisodes. Quand les médias, de Libération à Transfert en passant par le Figaro, ont commencé à assaillir son portable pour avoir des nouvelles de sa détention, il s’est retrouvé pris à son propre piège. « Sur le Net, ça passait, mais au téléphone, j’étais bien emmerdé. Je répétais sans cesse que mon avocat m’avait conseillé de ne pas parler. »
Petite lutte à Neuilly
Le dieu des rumoristes vient alors à son secours et fait éclater l’affaire « Miss France est un homme », un autre de ses propres bidonnages. En effet, une journaliste porto-ricaine écrivant sur le célèbre concours de beauté tombe par erreur sur une vieille info parue dans l’Examineur, mettant malicieusement en doute le sexe de Miss France. Elle publie dans le journal Primera Hora, l’information est alors reprise par un journaliste new-yorkais, se répand sur le Net et atterrit dans les rédactions françaises. Frédéric saute sur l’occasion et trouve une porte de sortie délirante : il affirme que le ministère de l’Intérieur l’a finalement libéré grâce à ses révélations sur l’affaire Miss France et une intervention inattendue de la CIA... L’affaire Miss France vit ses belles heures et force finalement le comité d’organisation à publier un communiqué officiel. « Cette fois, plusieurs journalistes, dont ceux de Paris Match et Télé 7 Jours, sont remontés jusqu’à moi. J’expliquais que la rumeur n’était qu’une connerie comme une autre. Depuis, je cherche plus ouvertement à être repris », se rappelle Frédéric Royer, qui continue depuis à sévir.
Lioneljospin.com...
« Je n’ai pas d’ambition. Je veux juste contribuer à faire comprendre que nous pouvons tous être victimes des manipulations médiatiques, politiques et économiques. » Une prise de consciencessalutaire dans laquelle il voit une dimension politique, « une contribution humoristique qui s’inscrit dans le grand courant anti-mondialisation ». Dans « le confort petit-bourgeois » de son domicile de Neuilly, il continue sa petite lutte et a, entre autres, déposé plusieurs noms de personnalités économiques et politiques en tant que noms de domaines Internet. « Il y a par exemple lioneljospin.com, qui pourrait accueillir un vrai discours de gauche à l’ancienne, un peu dans le style Jaurès », s’amuse Frédéric Royer, inspiré pour ce type de sites par le gwbush.com monté en 1999 par les activistes du collectif d’activistes américains RTMark. Ça tombe bien, les présidentielles arrivent...