Pour lutter contre la maladie du charbon, le gouvernement américain aurait pu commander des médicaments génériques. Mais il a signé un accord avec le laboratoire Bayer. Tant pis pour le portefeuille des Américains.
Le 24 octobre 2001, Bayer et les autorités sanitaires américaines sont parvenues à un accord sur l’approvisionnement des ...tats-Unis en Cipro, un médicament pour traiter les personnes affectées par la maladie du charbon. Le laboratoire pharmaceutique d’origine allemande s’est engagé à livrer 100 millions de pilules de Cipro d’ici janvier 2002, pour un prix unitaire de 95 cents l’unité (7 francs) au lieu du tarif gouvernemental habituel (1,77 dollar, soit 13 francs). De plus, en cas de nécessité, Bayer fournirait une deuxième tranche de 100 millions de comprimés à 85 cents l’unité (6,25 francs) et une éventuelle troisième fournée à 75 cents (5,50 francs). À première vue, un beau geste de la part de Bayer, accompagné, qui plus est, d’un très médiatique cadeau de 4 millions de pilules pour les postiers américains et les fonctionnaires du Secrétariat d’Etat à la santé.
Génériques possibles
Loin d’être philanthropes, les tractations ayant débouché sur ce compromis résultent au contraire de cyniques calculs financiers. Trouvant le Cipro trop cher et craignant de ne pouvoir en acheter des quantités suffisantes, le gouvernement américain avait, un court instant, envisagé de se procurer une version générique de la ciprofloxacine (la molécule du Cipro), moins onéreuse et immédiatement disponible en plus grandes quantités. Cette solution était préconisée par le sénateur démocrate de l’...tat de New York Charles Schumer. Mais le secrétaire d’Etat américain à la santé, Tommy G. Thompson, l’a finalement enterrée, affirmant qu’il n’était pas en son pouvoir de commander une version générique du Cipro, car ce médicament est protégé jusqu’en décembre 2003 par son brevet sur le territoire américain. Or cette assertion est fausse : la loi américaine sur les brevets prévoit en effet qu’en cas de nécessité (dans sa disposition 28 USC 1498) le gouvernement américain puisse accorder des licences aux fabricants de médicaments génériques. Ralph Nader, l’avocat activiste Vert et candidat malheureux à la présidence américaine, n’a pas manqué de le rappeler dans une lettre ouverte à Tommy G. Thompson. Le secrétaire d’...tat se défend en disant que le recours aux génériques est autorisé au cas où l’insuffisance des volumes d’approvisionnement mettrait en danger la santé publique. Et Bayer prétend que le respect de son brevet constitue une obligation légale, sans lien avec le prix de vente du médicament.
Prix public élevé
Reste que c’est bien en divisant son prix par deux que Bayer a sauvé son brevet sur le sol américain. Le laboratoire a eu encore plus chaud au Canada, quand le ministère de la Santé de ce pays a annoncé publiquement la commande d’un million de pilules de ciprofloxacine auprès d’un fabricant de génériques. Avant de faire machine arrière lorsque Bayer a proposé les mêmes conditions tarifaires qu’aux ...tats-Unis. Malgré l’effort consenti sur les prix, les spécialistes estiment que Bayer (qui refuse de s’exprimer sur le sujet) conserve une marge financière sur ces ventes de Cipro. D’autant que le prix grand public, lui, reste fixé à 4,7 dollars en moyenne par comprimé (34,50 francs). Rien à voir avec les médicaments génériques, que des producteurs indiens proposent à... 0,03 cent la pilule (0,22 francs) !
Cynique cohérence
Si les gouvernements américain et canadien n’ont pas joué la carte du moindre coût, ce n’est certainement pas parce qu’ils rechignaient à faire des économies. Mais il leur était difficile de faire fi des lois de protection des brevets. Ils avaient déjà soutenu les grands laboratoires pharmaceutiques dans un cas similaire. En faisant pression sur l’Afrique du Sud pour qu’elle n’autorise pas la fabrication de médicaments génériques contre le Sida, incontestable urgence sanitaire dans une Afrique aux populations décimées par le virus. Le compromis avec Bayer semble donc le résultat d’une cynique cohérence.
Bayer:
http://www.bayer.com
The Consumer Project on Technologies (CPTech), riche en information:
http://www.cptech.org/ip/health/cl/...