David Douyère, 34 ans, passé de l’édition aux intranets professionnels, anime depuis trois ans lachronique.net. Recueil hebdomadaire d’histoires vraies, citations drôles ou absurdes, ou terriblement réelles, envoyé par courriel. Un point de vue distancié et attachant sur la vie.
"La chronique est née un peu par hasard : depuis longtemps, je m’étais dit que j’écrirais. Mais rien ne venait. Un jour j’ai adressé par email un texte sur la nuit à des amis. Ça leur a plu. J’ai décidé d’envoyer une chronique chaque semaine. Mais la veille de sortir le premier numéro, je n’avais pas d’idée. En déjeunant dans un chinois, à la table d’à côté, j’ai entendu cette phrase : « Paul c’est un type vachement bien. Avec lui c’est tous les jours différents ; hier je suis montée sur une chaise et je lui ai dit : ce soir je te fais la Statue de la liberté ! » Ça m’a amusé, je l’ai noté. Ça a été ma première chronique. Et j’ai vite oublié mon projet de départ.
La méthode
Pendant un moment, je cherchais activement ce genre d’histoires. J’avais déjà une aptitude naturelle à ne pas faire très attention à ce que disaient les gens avec qui j’étais et à écouter les bribes de discussion derrière moi. Je suis allé dans des cafés et j’ai prêté attention. J’ai même suivi des gens en me disant : « Tiens celui-ci qui parle un peu fort, je sens qu’il va dire une connerie ! ». Je me suis parfois fait prendre à mon propre jeu. C’est comme ça que je suis devenu très ami avec ma concierge, en discutant avec elle dans l’espoir qu’elle sorte une « chronique ».
Maintenant je prends ce qui vient, quand ça vient. Mon lectorat a peu à peu dépassé le cercle amical. Il a longtemps plafonné à 200 abonnés. La création d’un site, sous la forme d’une parodie de site perso, a attiré de nouveaux lecteurs. Aujourd’hui, j’en compte environ 1200. Je leur envoie toujours la Chronique le lundi. Lorsque j’ai voulu changer beaucoup ont protesté. Ils m’ont confié qu’ils démarraient la semaine avec elle au bureau : « C’est du travail sans en être vraiment », disaient-ils.
L’esprit
Tout le monde peut apporter une histoire. Le compteur affiche 134 contributeurs. Pendant un moment un groupe d’amis assez dynamique a beaucoup participé. Mais cela implique d’entretenir le réseau. L’animer. Aujourd’hui, je les vois moins, la Chronique s’en ressent un peu. Elle a gardé, pendant longtemps, un rythme hebdomadaire et devient plutôt bimensuelle. Grâce aux contributions extérieures, j’ai pu réaliser des chroniques thématiques. Pour moi, il était très important que les histoires soient réelles. C’est la raison pour laquelle elles sont toujours situées et datées. Généralement, les contributeurs jouent le jeu. Quand on m’envoie des blagues, je ne les prends pas.
La psychanalyse
La Chronique, ce n’est pas les Brèves de comptoir : ce n’est pas le point de vue de gens intelligents sur des beaufs. Si je cite quelqu’un qui dit une connerie, je ne pense pas qu’il est con. Moi aussi, je dis des « chroniques ». Je me suis souvent cité. J’y ai aussi rapporté, en travestissant les noms, mes sales histoires de famille. Impudeur analytique ? Sans doute.
J’ai suivi une psychanalyse pendant quinze ans. J’en tire le sentiment de pouvoir tout dire sans être mis en danger. On retrouve beaucoup de choses de ma vie en lisant la Chronique. Mon univers : la littérature, la philo, la cuisine, les rapports homme-femme, quasiment pas de politique... J’ai prévu d’en faire un livre.
J’ai encore plein d’histoires dans mon ordinateur, reçues parfois il y a longtemps et jamais diffusées. J’attends qu’elles trouvent leur place. Et même si on peut trouver ces histoires inégales, ça reste le propre de l’exercice. Car leur puissance comique ou leur absurdité sera toujours subjective. "