Le décret préparé par l’Autorité de régulation des télécoms sur la concurrence dans la boucle locale a fêté le premier anniversaire de sa publication hier. France Télécom traîne des pieds pour mettre en place le dégroupage requis. Le haut débit via l’ADSL en fait les frais.
« La concurrence sur la boucle locale, qui devait normalement être totale à partir du 1er janvier 2002, a pris un retard considérable », tempête Jean-Louis Constanza, le directeur général de l’opérateur de télécommunications Tele2. L’enjeu de la bataille est de permettre aux concurrents de France Télécom d’accéder au « dernier kilomètre » de fils de cuivre (propriété exclusive de l’opérateur historique) allant jusque chez les particuliers. Sans cette ouverture, les opérateurs alternatifs ne peuvent proposer d’offres économiquement viables tant sur les communications téléphoniques locales que sur l’Internet haut débit, via la technique de l’ADSL.
Si le dégroupage a pris un tel retard, c’est que France Télécom ne meurt pas d’envie de voir débarquer des nouveaux venus sur sa dernière chasse gardée. « Du coup, ils font tout pour nous mettre des bâtons dans les roues. Leur arme la plus visible est de nous faire payer le dégroupage plus cher que le prix actuel de l’abonnement téléphonique facturé aux particuliers ! », dénonce Jean-Louis Constanza. Ce qui ôte toute chance au concurrent de proposer des tarifs alléchants au public tout en gagnant de l’argent. Plus discrets, mais tout aussi pénalisants, sont les obstacles techniques que France Télécom sème, comme pour gagner du temps. « Il faut rendre hommage à leur imagination pour miner le terrain », ironise Jean-Louis Constanza.
Lettre ouverte et pétition
Pour protester contre cette mauvaise volonté, Jean-Louis Constanza a donc initié, à la mi-juillet, le collectif ADSL Libre qui regroupe Tele2, mais également des opérateurs de réseaux comme Kaptech ou LD Com. Le manifeste de cette association est résumé dans une lettre ouverte adressée à Michel Bon, le président de France Télécom, également publiée sur le site Internet de l’association (www.libreadsl.org). ADSL Libre a aussi mis en place une pétition en ligne. Bientôt deux mois après l’annonce de l’initiative, les résultats sont décevants. Creux du mois d’août ou thème pas suffisamment fédérateur, la pétition n’a recueilli que quelques petits milliers de signatures. Quant à la lettre ouverte, elle est restée lettre morte, Michel Bon n’ayant pas pris la peine d’y répondre.
Jean-Louis Constanza compte néanmoins poursuivre et même intensifier le combat, à mesure que se rapproche l’échéance du 1er janvier 2002. Un communiqué en forme de piqûre de rappel de l’existence d’ADSL Libre a été publié hier. De nouveaux membres (Cegetel, AOL, etc.) pourraient rejoindre l’association si toutefois ils ne choisissent pas de négocier dans leur coin avec France Télécom. Et ADSL Libre compte intensifier ses « demandes répétées et solennelles » auprès de l’ART, pour lui faire part de ses doléances.
La suite au tribunal ?
Pour l’heure, l’ART reste mesurée dans sa charge contre France Télécom, espérant toujours parvenir à accélérer le processus du dégroupage par la négociation. « La situation française n’est pas une exception : dans tous les pays d’Europe, les opérateurs historiques s’arc-boutent sur leur monopole de la boucle locale, car il leur permet de gagner beaucoup d’argent », rappelle Dominique Roux, de l’ART. Est-ce à dire que l’ART compte rester immobile ? « Absolument pas, nous ne lâcherons pas. Le dégroupage doit impérativement être fait dans des conditions économiques viables », insiste Dominique Roux. Voilà France Télécom prévenue. Si l’opérateur ne met pas plus de bonne volonté à se plier aux injonctions de l’ART, cette institution n’hésitera pas à porter l’affaire devant les tribunaux. Une procédure juridique n’est cependant pas le moyen le plus rapide, France Télécom disposant d’une armada d’avocats. « Même s’ils sont sûrs de perdre à la fin, ils peuvent retarder le mouvement de 3 à 6 mois supplémentaires », craint Jean-Louis Constanza. La situation n’en est pas encore à ces extrémités, mais pourrait vite y arriver. « Dans un mois, on en saura un peu plus », commente l’ART.