La Californie impose que les failles de sécurité informatique soient rendues publiques
Une loi californienne punit à compter du 1er juillet 2003 les gestionnaires de bases de données qui ne révéleraient pas la découverte d’une faille de
sécurité, ou d’un piratage informatique pouvant avoir compromis les informations personnelles des individus fichés. En France, alors que la loi Informatique et Libertés
n’est pas respectée, le Parlement pense pouvoir lutter contre le phénomène en doublant les
peines qu’encourent les "cyber-délinquants".
Le Security Breach Information Act (S.B.
1386), votée en février 2002 et qui prend effet ce mardi 1er juillet 2003, concerne
toute société ou personne gérant des données informatiques en Californie, mais aussi ceux
qui ont des clients californiens.
La loi les oblige à informer leurs utilisateurs dès lors qu’ils ont connaissance d’une
"faille dans la sécurité du système pouvant avoir entraîné l’acquisition non-autorisée de données informatiques compromettant la sécurité, la confidentialité ou l’intégrité des
données personnelles" contenues dans leurs fichiers.
Les données concernées sont les prénoms (ou initiales) et noms, associés à un numéro de sécurité sociale, de permis de conduire, de plaque d’immatriculation ou de compte bancaire, de carte de paiement et de crédit couplé à un mot de passe.
Explosion des vols d’identité
Les sociétés protégeant leurs fichiers au moyen d’outils de cryptographie ne sont pas
concernés par cette loi. Il suffit en effet à une société de démontrer qu’elle a chiffré
sa base de données ou son fichier client pour éviter tout procès.
Il est également prévu que les forces de l’ordre puissent ordonner aux gestionnaires de bases de données de ne pas dévoiler les attaques dont ils sont victimes. Ce qui irait de pair avec les efforts faits par l’administration Bush pour garder secrets les failles de
sécurité et piratages informatiques, du moment qu’ils sont notifiés au FBI et autres
forces de police ou de renseignement.
Cette loi vise en premier lieu à enrayer les conséquences de l’explosion des usurpations
d’identité (identity theft en VO). Ce phénomène est d’autant plus en expansion que la
protection des données personnelles n’est pas aussi bien encadrée aux États-Unis qu’elle
ne l’est en Europe. Selon la Federal Trade Commission (FTC), 162 000 personnes se seraient
plaintes, l’an passé, d’avoir été victimes de vol d’identité. Le Département de la Justice
estime, quant à lui, que ce sont 700 000 personnes qui en feraient, chaque année, les frais.
En France, le Parlement préfère taper sur les petits délinquants
En France, rien de tel n’est prévu. Il suffit par ailleurs de faire un tour sur
Kitetoa.com pour voir à quel point la Loi Informatique et
Libertés, adoptée en 1978 et censée punir l’absence de protection des données
personnelles, est violée en toute impunité, depuis des années.
Alors que la directive européenne sur la
protection des données personnelles, aurait dû être transposée en droit français depuis 1998 (voir notre
article), la France préfère pénaliser les internautes, et
criminaliser les "cyber-délinquants", plutôt que de sensibiliser la population, les
entreprises et administrations à la sécurité des systèmes d’information.
Dans une tribune libre publiée sur ZDNet.fr et intitulée "Cyberdémagogie, quand tu nous
tiens !", l’avocat Olivier
Iteanu déplorait récemment
"le quasi-doublement des peines en matière de fraude informatique, rebaptisée
"cybercriminalité" pour l’occasion", prévu par la Loi sur l’économie numérique (LEN),
votée par le Sénat la semaine passée.
La prévention plutôt que la répression
Pour cet ancien président du chapitre français de l’Internet
Society et personnalité influente de la régulation des
réseaux informatiques, "rien, mais absolument rien, ne justifiait que le
Parlement prenne une telle mesure".
Selon lui, depuis 1986, date à laquelle la loi Godfrain, qui punit les délits et fraudes
informatiques, a été votée, les tribunaux français ne l’auraient en effet appliquée
qu’une centaine de fois. Selon Thiébaut Devergranne, doctorant en droit et
auteur d’un article sur "La loi « Godfrain » à l’épreuve du
temps", "depuis l’entrée en
vigueur de la loi, on compte une petite trentaine de procès sur son fondement, à peu près deux
procès par an, cela fait un procès tous les six mois..."
Iteanu, qui reproche l’absence de concertation et de réflexion ayant entraîné le vote de
cet aspect de la LEN, rappelle que les principes directeurs de l’OCDE en matière de
sécurité informatique mettaient pourtant en avant la "sensibilisation" des entreprises et
utilisateurs, considérée comme "la première ligne de défense pour assurer la sécurité des
systèmes et réseaux d’information".
Pourtant, "rien n’est fait dans ce domaine en France". Au contraire, "depuis
maintenant deux ans, chaque texte de loi traitant de l’espace internet est venu avec son
lot de répression et d’interdiction accrues sans grande nuance", qu’il s’agisse de la Loi
sur la Sécurité Quotidienne ou de la LEN.
S’il ne s’agit pas de "défendre les cyberdélinquants, la vérité requiert de dénoncer
l’inutilité du doublement des peines pénales qui traduit un esprit de démagogie et de
paresse inquiétant".