Le pirate était un flic... et un indic
Le STIC, méga base de données policière dénoncée depuis des années par les associations de défense des droits de l’homme mais aussi par des juges et des policiers, vient de connaître son premier "piratage". Le pirate ? Un flic.
Jean-Pierre Chevènement, Jacques Chirac, François Mitterrand, Jean Tiberi, Bernard Tapie, le juge Jean-Louis Bruguière, Jean-Paul Belmondo ou encore Alain Delon. Voilà quelques unes des 600 fiches personnelles et confidentielles du Système de Traitement des Infractions Constatées (STIC) qu’a pu consulter en toute illégalité un policier niçois de 43 ans. Ce fonctionnaire de la Police de l’air et des frontières fouillait cette gigantesque base de données policière pour le compte de la Grande Loge Nationale de France (GLNF), deuxième loge maçonnique française, où il occupe le rang d’adjoint du "Grand porte-glaive" (sorte de ministre de la justice, lui-même policier). Si l’on ne sait ce qu’il y a trouvé, l’objectif, avoué par le policier niçois, était de s’assurer du passé de certains des postulants à la GLNF, ainsi que de celui de ses membres à problèmes. Dénoncé par une lettre anonyme, il a été confondu à partir de son login et de son mot de passe, qu’il avait innocemment saisi lors de ses consultations "privées". Remis en liberté, il fait aujourd’hui l’objet d’une information judiciaire.
Un fichage systématique et incontrôlable
Révélée par Nice Matin et reprise par Libération, l’affaire est loin d’être anodine. Car elle constitue le premier cas constaté de piratage du STIC. Ce dernier conserve une trace de toute "mise en cause dans une procédure judiciaire". Autrement dit, que vous soyez simple suspect, mis en examen, condamné, innocenté ou bien victime, que l’affaire soit classée ou qu’elle bénéficie d’un non-lieu, la règle est invariable : vous êtes fiché. Alors qu’un casier judiciaire ne garde pas trace des affaires lorsque vous avez été blanchi, ce fichier-là, si. Même tarif pour le droit à l’oubli, qui permet d’effacer du casier judiciaire, au bout de quelques années, vos infractions passées. Sans même parler du fait de ficher les victimes...
De plus, les conditions d’accès sont telles qu’il est impossible, ou presque, à un particulier de savoir ce qu’il y est inscrit, encore moins d’en faire modifier le contenu. Initié par Charles Pasqua, le STIC a finalement été mis en œuvre par Jean-Pierre Chevènement l’an dernier et ce, malgré l’avis négatif de plusieurs syndicats de juges et policiers, ainsi que de nombreuses associations de défense des droits de l’homme. Henri Leclerc, ancien président de la Ligue des droits de l’homme, le qualifia ainsi de véritable "fichier de suspects, qui balaie la présomption d’innocence". L’association DELIS (Droits et libertés face à l’Informatisation de la société) rapporte ainsi que le STIC recensait déjà, au 1er janvier 1997, 2,5 millions de "mis en cause", 2,7 millions de victimes, 5 millions de procédures et 6,3 millions d’infractions.
En attendant la CNIL
Outre les problèmes propres à la franc-maçonnerie, dont les réseaux niçois font l’objet d’une attention toute particulière du procureur depuis quelques mois, l’affaire renvoie également aux collusions entre officines de sécurité privées et fonctionnaires des forces de l’ordre, de plus en plus nombreuses à mesure du développement des premières, et de l’accès facilité des seconds à de gigantesques bases de données. Quant au statut exact du STIC, on nage en plein flou juridique : après avoir reçu l’aval, assorti de quelques réserves, de la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) en 1998, le Conseil d’...tat a quant à lui émis de vives critiques, demandant entre autres sa "mise à jour systématique" afin qu’y soient inscrits les classements sans suite, les non-lieux, les acquittements et les relaxes transmises par les parquets. La balle est aujourd’hui, et depuis des mois, dans le camp de la CNIL, qui ne s’est pas encore prononcée et qui n’a pas été en mesure de répondre à nos questions. En attendant, le STIC continue d’être utilisé, depuis plusieurs années, en toute impunité.