"Les partis apprennent plus le net dans les batailles internes que dans les campagnes électorales" [Maurice Ronai]
Pour l’animateur de la section virtuelle du PS, la France n’en est qu’aux prémisses de l’e-politique
Jeudi 22 mai se tenait à Issy-les-Moulineaux une rencontre organisée par le Club de l’e-public et intitulée "Net-campagnes en France : un an après, un an avant...". Parmi les intervenants figurait Maurice Ronai, l’animateur de Temps Réels, la section internet du Parti socialiste.
Cet homme au profil éclectique, spécialiste de la stratégie militaire américaine aussi bien que des politiques du logiciel ou de l’administration électronique, a participé à la campagne de Lionel Jospin sur internet.
Ancien responsable des technologies de l’information au Commissariat au Plan, Maurice Ronai est aujourd’hui chercheur à l’Ecole des hautes études en sciences sociales. Il est l’auteur, avec le député Christian Paul et l’ancien conseiller TIC de Lionel Jospin, Jean-Noël Tronc, de "Vers la Cité numérique - Un projet pour la société de l’information" (Fondation Jean Jaurès, 2002), la Bible des nouvelles technologies au PS.
Les présidentielles de 2002 sont souvent qualifiées de première e-campagne. Un an après, quel regard portez-vous dessus ?
M. R. - La plupart des partis politiques avaient mis en place à cette occasion des équipes web plus ou moins articulées avec le dispositif officiel de campagne. Dans ce mélange de professionnels et de non-professionnels, on trouvait souvent des personnes désignées pour répondre au courrier électronique. Cependant, le schéma restait encore beaucoup celui d’un état-major utilisant le net et le mail pour diffuser ses ordres.
Par exemple, même si le site du PS a reçu plus de messages après le 21 avril que durant la campagne du premier tour, il aurait fallu analyser ces derniers : certains faisaient état de griefs, de grognes qui, derrière des cas très personnels, auraient pu alerter le parti. A noter aussi que les thèmes liés à l’internet ont été très peu présents dans la campagne. Tout a été concentré durant les 72 heures de la Fête de l’Internet.
Ces élections étaient une étape dans l’apprentissage que l’on peut faire du web en politique. En 2007, je pense qu’on verra davantage l’ensemble des acteurs - cadres, militants, adhérents - travailler en réseau. Cela signifie plus d’échanges de mails et une campagne plus transversale. Les gens retransmettent les informations, les argumentaires dans leur environnement proche, dans leur communauté. Ça, on l’a très peu vu en 2002. En fait, ça n’a même pas été esquissé...
De nouvelles pratiques sont-elles apparues au PS durant la préparation du congrès de Dijon, tenu la semaine dernière ?
Je crois que les partis apprennent davantage l’usage d’internet durant les batailles internes que lors des élections. On utilise souvent le net quand on n’a pas d’autre média à sa disposition. Les grands médias couvrent le déroulement d’une campagne électorale nationale et les partis n’ont alors pas vraiment besoin du net pour leur communication. Mais dans une campagne interne comme celle que vient de connaitre le PS, ce n’est ni TF1 ni RTL qui vont diffuser les idées de tel ou tel courant.
Pour préparer le congrès de Dijon, le courant du Nouveau Parti socialiste, de Vincent Peillon et Arnaud Montebourg, a fait un large usage du courrier électronique, notamment dans l’élaboration de son texte. De son côté, la motion Hollande diffusait une lettre quotidienne dans laquelle, à travers des portraits de militants, ils développaient des arguments pour appeler à voter pour le premier secrétaire. Et les état-majors suivaient au jour le jour le déroulement de la campagne par le biais des remontées de compte-rendus des débats dans les sections locales. Je pense qu’il existe de plus en plus une correspondance militants les plus motivés et les plus connectés. Chez les Verts, il y a 75 % d’internautes. Je ne connais pas les chiffres pour le PS mais il est clair que le taux de connexion des cadres intermédiaires du parti se situe à un niveau très élevé.
Que pensez-vous de l’opération de bombardement des adresses email des syndicats, récemment lancée par le courant la Droite libre ?
Je n’ai pas d’objection de principe sur ce type d’opération. Ce sont des pratiques assez répandues et aisément contrables. Le site du Premier ministre ou le site du ministère de l’Education nationale ne se plaignent pas de recevoir ces temps-ci un afflux massif de mails hostiles. Le but de cette initiative était d’attirer l’attention sur la Droite libre. C’est plutôt réussi... Ce genre de campagne n’a de résonance que lorsqu’elle sort de l’internet. Je ne crois pas que les confédérations syndicales aient eu raison de poursuivre l’association en justice. Elles ont donné une existence à un non-évènement.