Le secrétaire d’Etat à l’industrie a adressé une lettre à la Commission européenne pour exprimer l’opposition du gouvernement à la proposition de directive sur la brevetabilité des logiciels parue fin février.
En période de campagne électorale, le politique l’emporte sur le technocratique. Ainsi pourrait-on résumer la démarche du secrétaire d’Etat à l’industrie Christian Pierret qui vient de critiquer tout à fait officiellement et très directement le projet de directive communautaire sur les brevets appliqués aux logiciels. Présenté comme un moyen « d’harmoniser les règles applicables en matière de brevets sur les programmes d’ordinateur », le texte publié le 20 février par la Commission de Bruxelles vise à se rapprocher de la pratique de l’Office Européen des Brevets (OEB). Depuis une quinzaine d’années, celui-ci accorde des brevets à de tels programmes en dépit de l’exclusion de ceux-ci du champ de la brevetabilité dans les textes.
« Aucune des précisions attendues »
Le gouvernement français, par la plume de son secrétaire d’Etat, a donné vendredi 1er mars son avis sur le texte dans une lettre destinée aux deux commissaires en charge du dossier : Fritz Bolkestein (direction du marché intérieur) et Erkki Liikanen (direction de la société de l’information). Si jusqu’à présent, la position de l’équipe Jospin n’avait pas été clairement formulée, elle est cette fois très critique. Non pas sur le principe en lui-même de la brevetabilité, mais sur la méthode et les choix de la Commission. Premier reproche : « le projet de directive n’apporte aucune des précisions attendues sur les limites et les exigences de la brevetabilité, mais, au contraire, stipule dans l’exposé des motifs que tous les programmes exécutés sur un ordinateur sont par définition techniques ». Lecture du gouvernement : « Cela pourrait ouvrir le champ de la brevetabilité à l’ensemble des logiciels voire des méthodes intellectuelles ».
Manque de crédibilité
Christian Pierret rappelle ensuite que la question de la brevetabilité doit être examinée sur des critères sérieux et juge que « la proposition de directive ne répond pas de façon adéquate aux enjeux économiques, scientifiques et culturels du secteur du logiciel ainsi qu’à la nécessité de promouvoir l’innovation qui figure parmi les priorités du plan d’action “ e.Europe”. La conclusion est plutôt sèche pour un membre du gouvernement plutôt familier de la langue de bois : pour lui le texte n’offre pas "de position européenne rigoureuse et crédible » sur le sujet.
Mamère et Chevènement sont contre
Cette sortie du gouvernement tranche avec la prudence de mise jusqu’alors. Elle est sans doute due à la nécessité de se placer dans ce débat devenu très politique. Les partis de la majorité à l’assemblée sont plutôt hostiles à la politique du tout-brevet. Noël Mamère (candidat des Verts) et Jean-Pierre Chevènement (Pole républicain) se sont déjà prononcés contre et les clubs de réflexion du parti socialiste, comme Temps Réels, sont très circonspects. Quant aux conseillers ministériels qui ont commandé l’été dernier le rapport de l’Académie des Technologies, très favorable à la brevetabilité, ils sont sans doute actuellement un peu moins écoutés. Le sujet serait-il aussi porteur que le hochet actuel de la campagne dénommé « insécurité » ? « Les politiques ont peur de prendre une volée de bois vert de la part des opposants à la brevetabilité, qui peuvent faire beaucoup de raffut », diagnostique un fonctionnaire. Qui rappelle que l’épisode s’est déjà produit à l’occasion de l’adoption d’une directive sur les biotechnologies.
Conjoncture
L’alliance Eurolinux, opposée à la brevetabilité se réjouit, bien évidemment, de la position de la France. Jean-Paul Smets, l’un de ses représentants estime que le gouvernement « a bien su lire le sens exact de la directive ». Cet avis reste toutefois très dépendant de la conjoncture électorale. Il ne présage en rien non plus d’une décision des Quinze. Certains Etats membres, comme l’Irlande ou la Grande-Bretagne, sont tout à fait pour la brevetabilité. Et selon des négociateurs français, parmi les autres pays, aucun ne semble être vraiment contre. À moins que la position de la très libérale direction du marché intérieur ne les fasse changer d’avis.