Trois jours après que la France a banni la publication anonyme sur le Web, des ingénieurs américains lancent un nouveau système destiné à masquer l’identité des auteurs de sites.
En 1787, trois américains publièrent une série d’articles visant à encourager l’adoption de la Constitution américaine. Désireux de se protéger d’éventuelles représailles, ils cosignèrent leurs articles du pseudo Publius, et parvinrent à faire adopter ladite Constitution, dont le premier amendement garantit la liberté d’expression...
Publius est aujourd’hui le nom du projet que trois ingénieurs américains viennent de lancer, en vue de lutter contre la censure sur l’Internet. Plus précisément, il s’agit de garantir l’anonymat de ceux qui veulent pouvoir s’exprimer sur le Web, sans pour autant risquer de s’attirer les foudres de ceux qui, par des moyens légaux ou non, veulent bloquer, détruire ou empêcher la publication de leurs propos.
"Infalsifiable, robuste et résistant à la censure"
S’il est quasi-impossible de faire quoi que ce soit de façon vraiment anonyme sur le Web, les auteurs de Publius expliquent que nombre d’internautes s’autocensurent de peur d’être victimes de pressions (de leurs employeurs, notamment, ou encore de grosses sociétés qu’ils se prendraient à critiquer) et de menaces (de procès surtout, occasionnant des frais de procédure par trop élevés pour les simples particuliers), sans parler des risques plus graves encourus sous certains régimes, tel ce chinois qui vient d’être emprisonné pour avoir osé parlé de Tian Anmen sur son site Web.
Les auteurs de Publius rappellent également que la législation sur le copyright permet, par exemple, à l’église de scientologie de censurer toute publication de leurs documents internes à même de démontrer leur dangerosité. C’est d’ailleurs suite à une de leurs actions en justice qu’anon.penet.fi, le plus connu des remailers - logiciels qui permettent de poster un mail de façon anonyme -, dut interrompre son service, au grand dam des défenseurs de la liberté d’expression. Pour toutes ces raisons, ils ont décidé de créer Publius, "système de publication sur le Web infalsifiable, robuste et résistant à la censure".
Cryptage et confidentialité
Publius publie de façon anonyme, ou pseudonyme, mais contrairement à FreeNet (lire Freenet : la refondation de l’Internet ?), installer un système informatique complexe pour accéder à un réseau à part n’est pas nécessaire : tout se passe sur le World Wide Web. Pour être publié, chaque fichier (html, image, fichiers postcript ou pdf, etc.) est découpé en plusieurs segments qui sont ensuite disséminés à la manière d’un puzzle sur différents serveurs participant au projet. Les données sont de plus cryptées en vue de les protéger et d’en masquer le contenu : impossible de savoir quelle partie correspond à quoi, ni d’y accéder et encore moins de les altérer. Pour trouver un document, il suffira d’accéder à l’un des index de Publius via leur serveur proxy, qui se chargera de rassembler le fichier demandé. Une version bêta vient tout juste d’être lancée afin de trouver des sites volontaires pour un premier test de faisabilité.
Anti-pédophilie
À la rentrée, et au vu des résultats des tests, les auteurs de Publius jugeront s’il est possible d’en créer une version permanente. AT&T, qui emploie les trois auteurs du projet, déclare pour l’instant suivre son évolution d’un bon œil et ne pas vouloir faire comme AOL, qui avait voulu censurer Gnutella, lancé par l’une de ses filiales. Publius a d’ailleurs déjà reçu le soutien de l’Electronic Frontier Foundation, pionnière dans la défense des libertés civiles sur l’Internet, ou encore de Zero Knowledge, connu pour avoir lancé Freedom, programme qui permet de préserver l’anonymat des internautes (lire Souriez, vous êtes tracés !). Quant aux risques d’utilisation abusive de Publius, les ingénieurs ont déclaré au Washington Post qu’il leur serait possible de supprimer des serveurs tout programme jugé "odieux", à commencer par tout ce qui concerne la pornographie enfantine, tentant ainsi de couper l’herbe sous le pied de ceux qui ne peuvent s’empêcher de confondre anonymat, liberté d’expression et pédophilie.