Un Français publie un journal quotidien sur le Sommet mondial sur la société de l’information
L’universitaire français Hervé Le Crosnier publie chaque jour sur son site un article consacré au Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI), dont la première phase se tiendra à Genève du 10 au 12 décembre 2003. Démarrée 100 jours avant le début de la manifestation, cette chronique personnelle veut éclairer le grand public sur les "vrais enjeux" de cette rencontre : droits de l’homme, propriété intellectuelle, logiciels libres, respect de la diversité culturelle...
Organisé par l’Union internationale des télécommunications à la demande des Nations-Unies, le SMSI rassemblera gouvernements, secteur privé et représentants de la société civile en deux temps : après la première phase à Genève cette année, Tunis accueillera une deuxième session en novembre 2005.
Ambitieuses, ces rencontres souhaitent aborder les "bouleversements radicaux" qu’entraînerait le passage de la société industrielle à celle de l’information dans nombre de domaines : "diffusion des connaissances, modes de comportements en société, pratiques économiques et commerciales, engagement politique, médias, santé (...)". Et surtout, "lorsque cela est nécessaire, harmoniser les points de vue sur le plan mondial".
Rien d’une mascarade
Préparé par une série de réunions - l’une d’elles se tient ces jours-ci à Genève et fait l’objet d’un compte-rendu quotidien par Frédéric Couchet, de l’Association pour la promotion de l’informatique libre -, le SMSI devrait déboucher sur l’adoption d’une Déclaration de principe et d’un plan d’action portant "sur l’ensemble des questions liées à la société de l’information".
Ce côté "grand-messe fourre-tout" n’a pas découragé Hervé Le Crosnier, un enseignant en informatique à l’université de Caen, de s’intéresser au contenu de ce SMSI. Depuis le 1er septembre, il publie chaque jour un "petit papier" sur son site dédié à la question.
"C’est un pari que j’ai fait avec moi-même mais je ne savais pas dans quoi je m’embarquais", explique ce membre fondateur du chapitre français de l’Internet Society (Isoc France) et créateur en 1993 de Biblio-fr, la liste de diffusion de référence pour les bibliothécaires, qui compte aujourd’hui quelque 12 000 abonnés.
Le Crosnier dit consacrer deux heures par jour à tenter d’expliquer les vrais enjeux du sommet, selon lui totalement inaccessibles au commun des mortels.
"Le SMSI n’est ni une mascarade ni une simple opération de communication, explique l’universitaire. On va y jouer entre experts un jeu qui nous engagera tous sur des formes d’organisation de société pour l’avenir. On ne laisse pas aux populations le temps de s’emparer de ces nouveaux outils, en servant l’excuse du rythme des innovations technologiques. Il existe donc un réel besoin d’expertise et de contre-expertise."
"Verser du vinaigre"
Brevets logiciels, e-démocratie, concentration financière dans le secteur médiatique, droits de l’Homme, rôle de la société civile dans le débat... : les "petits papiers" d’Hervé Le Crosnier balaient un vaste spectre.
"Mon souhait est d’irriguer le débat, indique l’enseignant, de rassembler des informations éparses, de donner une visibilité aux logiques à l’oeuvre pour que des décideurs, qu’ils soient majoritaires ou minoritaires, s’en emparent."
Ecrites sur un ton familier et envoyées à quelque 180 abonnés, les chroniques quotidiennes sont résolument engagées. "J’ai choisi de verser du vinaigre, juge l’auteur. Les choix de société doivent se résumer à des orientations compréhensibles par tous, et non à un discours obscur à force de technicité. Lorsque le projet de déclaration du SMSI parle des intérêts convergents des gouvernements, du secteur privé et de la société civile, je regrette, ce n’est pas vrai. Nous ne jouons pas tous le même jeu."
Selon Hervé Le Crosnier, quatre thèmes illustrent parfaitement ces divergences d’intérêts : les droits de l’homme, la propriété intellectuelle, les logiciels libres et le respect de la diversité culturelle et linguistique. Des questions qui seront largement évacuées des débats du SMSI...
"Je ne veux pas me contenter de formules telles que ’Vous ne pouvez rien contre le progrès’ ou ’Toutes les institutions du passé - Etat, école, régime de l’information éditée, etc. - sont mortes’. D’accord, ces institutions seront transformées, mais dans quel sens ? C’est justement la place et le moment pour ce débat !"
En décembre, Hervé Le Crosnier se rendra à Genève pour assister au SMSI. Quant aux 100 chroniques, elles feront peut-être l’objet d’une publication en librairie.
"Pourquoi pas si ça le mérite ? Mais ces papiers sont avant tout un engagement personnel. Je ne veux pas léguer à mes enfants un monde de surveillance, de soumission, affirme Le Crosnier. La caricature de cette logique, c’est le paysan qui aujourd’hui ne peut pas replanter ses graines parce qu’elles sont sous copyright. L’une des formes de la société de l’information envisagée se dirige malheureusement vers cette voie."