L’Office fédéral suisse des réfugiés (ODR) a mis en ligne un jeu baptisé Swiss-Check-In qui permet de se retrouver dans la peau d’un demandeur d’asile et de découvrir toutes les démarches à effectuer auprès des autorités helvètes. Une initiative "pédagogique" que dénonce, dans un communiqué, l’Association romande contre le racisme (Acor-SOS Racisme), qui juge le jeu "raciste et discriminatoire".
Créé en version alémanique en septembre 2002 et soutenu par une campagne de communication depuis la sortie de la version française en avril 2003, Swiss-checkin aurait déjà attiré, selon l’ODR, plus de 25 000 joueurs et un millier d’exemplaires de la version CD-rom aurait été commandé par le public.
Une fois passée une introduction alléchante ("Tu vas vivre quelques expériences surprenantes et passionnantes. Amuse-toi bien et bonne chance !"), le jeu au graphisme bien propre démarre par le choix du personnage. On incarne Samir, un Algérien de 22 ans poursuivi par des terroristes, Carlos Jesus, un écologiste colombien menacé par les narco-trafiquants ou encore Celestina, une jeune Angolaise contrainte par son mari de se prostituer...
L’asile ou le cimetière
Après un bref rappel du contexte géopolitique du pays d’origine, le joueur se munit des "objets" de son choix : conjoint, enfant, argent, médicaments, papiers mais aussi... faux papiers, armes ou drogues.
Puis commencent les différentes étapes de la procédure de demande d’asile : formulaires administratifs, visite médicale ou entretiens, pendant lesquels possibilité est offerte de mentir. En attendant la réponse des autorités, le requérant prend des cours de langue, effectue des petits boulots, agresse les passants, se prostitue, etc.
Enfin, c’est le verdict : on peut être accepté comme réfugié, prendre l’avion du retour ou finir au cimetière...
De l’aveu même des responsables de l’Office des réfugiés, seuls deux personnages ont été conçus pour obtenir une réponse positive à leur requête. "Cela correspond à la proportion de demandeurs qui, dans la réalité, sont acceptés comme réfugiés", explique Dominique Boillat, porte-parole de l’Office fédéral.
Cette communication ludo-éducative a en tout cas fait sursauter les membres de Acor SOS-Racisme, dès qu’ils ont pris connaissance de la chose. Le 14 mai, l’association a demandé par communiqué la suspension du jeu et l’ouverture d’une enquête administrative.
"Tout le contenu de ce jeu est terrible, estime Karl Grünberg, secrétaire général d’Acor SOS racisme. Il reprend tous les poncifs et les stéréotypes concernant les origines ethniques des personnes. Par exemple, nous avons beaucoup testé le personnage algérien du jeu : il n’obtient jamais l’asile politique car c’est toujours un menteur !"
Etrangers = délinquants
De plus, l’association s’alarme qu’un tel jeu ait pu obtenir l’aval des services suisses en charge des publications pour la jeunesse. "Swiss-checkin s’adresse aux adolescents et leur propose d’incarner un demandeur d’asile susceptible de se prostituer, de voler ou prendre de la drogue... Pire, on se rend vite compte que le jeu est plus dynamique si l’on choisit d’être un délinquant", juge Karl Grünberg.
A l’Office fédéral des réfugiés, on ne comprend pas "quelle mouche a piqué" SOS Racisme. "Pour nous, il s’agissait d’atteindre un public jeune pour le sensibiliser à la problématique de l’asile. Nous n’avions aucune intention de porter un jugement raciste sur les réfugiés. A aucun moment du jeu il n’y a de remarque dépréciative ou injurieuse vis-à-vis des demandeurs", assure Dominique Boillat, qui prend la peine de préciser que le concepteur du jeu est marocain.
Pourquoi présenter les requérants comme des délinquants en puissance ? "Si nous avions proposé des demandeurs d’asile idéaux, c’est-à-dire qui ne commettent aucun délit, qui ne font rien de négatif, on nous aurait accusé d’enjoliver la situation, poursuit Dominique Boillat. Ceux qui tombent dans la délinquance sont une minorité, mais c’est aussi une réalité. Il fallait remettre les pendules à l’heure."
Législatives et coffre-fort
Ces explications ne convainquent pas SOS Racisme, pour qui la publication de Swiss-Checkin.ch s’inscrit dans un contexte de "xénophobie d’Etat" et de contrôle de police au faciès.
Malgré une législation déjà très stricte, le Parlement suisse s’apprête à examiner deux projets de loi restreignant l’accueil des étrangers et le droit d’asile. Et la question de l’immigration pourrait bien être l’enjeu majeur des législatives d’octobre 2003.
"Tous les partis gouvernementaux suisses souhaitent un durcissement de la réglementation du droit d’asile pour rendre le pays moins attractif, explique Karl Grünberg. Il faut donc travailler l’opinion dans ce sens, à commencer par la jeunesse qui est la population la plus sensible aux problèmes des étrangers. Avez-vous remarqué que le générique de Swiss-checkin démarre par une image de coffre-fort qui s’ouvre ? Le message est clair : les personnes qui veulent entrer en Suisse ne viennent que pour y piquer du pognon !"
Les 26 000 étrangers qui ont en 2002 déposé une demande d’asile en Suisse apprécieront ce message de bienvenue. Dans son avertissement aux joueurs, Swiss-Checkin précise : "Pour les personnes contraintes de fuir leur pays, la demande d’asile est loin d’être un jeu." Sans blague.