Bernard Werber, l’auteur des Fourmis,
sort un jeu vidéo sur CD-Rom. Rencontre avec un dingue de nouvelles technos.
es piles de CD audio s’élèvent un peu partout. Les étagères plient sous le poids des livres et des manuscrits. Au centre trône un PC avec ses enceintes multimédias et quelques téléphones portables, un Nokia Communicator et le Vibretto de Toshiba. Bienvenue dans le bureau de Bernard Werber, écrivain et fan de technologie. Absorbé par le clic de sa souris, et la vision de l’écran extra plat de son ordinateur, l’écrivain délaisse un instant le cours de son opération et jette un regard curieux sur la mallette que vous venez de poser à terre. On veut lui parler sérieusement, il s’exclame : “Ah montrez voir, il y a des poches à l’intérieur ? C’est un tissu souple. Hum, ouais, c’est pas mal !” Assis en tailleur, en équilibre sur un fauteuil à roulettes, l’écrivain au crane dégarni cache derrière ses larges lunettes un regard mi-rieur mi-interrogateur. À 38 ans, Bernard Werber conserve l’air émerveillé du gamin qui découvre ses jouets de Noël.
L’auteur étant également grand amateur de jeux vidéo, rien d’étonnant à ce que son dernier plaisir ait pris la forme d’un CD-Rom. Un jeu inspiré de son premier livre, Les Fourmis. Rappelez-vous ce best-seller, traduit en douze langues, qui fit le tour de la planète dès sa sortie en 1991. Le premier polar à raconter avec minutie les aventures fantastiques d’un héros fourmi baptisé 103 683ème. Commercialisé depuis le 16 mai 2000, ce jeu est la concrétisation d’un rêve vieux de presque dix ans. Bernard Werber y pense depuis l’âge de seize ans, époque à laquelle il rédige les premières pages de son roman. “Dès la conception du livre, je voulais en faire un film et un jeu. C’était un univers peu exploité et pourtant suffisamment riche pour être développé sur un autre support.” Voilà chose faite, mais non sans mal.
“J’aime pas Myst”
Dès la sortie du bouquin en 1991, Bernard Werber, alors journaliste scientifique au Nouvel Observateur, propose à plusieurs de ses amis éditeurs de jeu d’adapter son roman. Mais l’idée reste au stade du sujet de conversation. En dix ans, trois projets se succèdent, traînent puis capotent. L’auteur ne signe aucun contrat et le CD-Rom ne voit pas le jour. Légèrement désappointé mais suffisamment absorbé par ses autres bouquins - il en écrira huit dans l’intervalle, dont la suite des Fourmis - l’auteur prolixe patiente. “Contrairement à l’édition où quand on vous dit oui c’est oui, dans le monde de l’audiovisuel quand on vous dit oui, ça signifie peut-être. J’ai mis du temps à le comprendre” avance-t-il. Jusqu’au jour où Elliot Grassiano, le directeur de la société Microïds, contacte Bernard Werber. “J’ai adoré le bouquin et j’ai trouvé que le thème était fabuleux pour développer un jeu de stratégie et renouveler le genre. J’ai donc appelé son éditeur, Albin Michel, puis j’ai rencontré Bernard. C’est comme ça que j’ai découvert que c’était un passionné de jeu vidéo” se souvient Elliot Grassiano. Le contrat sera signé au début de l’année 1998.
Nul besoin de réfléchir à une histoire, l’auteur la garde depuis assez longtemps dans un coin de sa tête. “Je leur ai dit que j’adorais le jeu Civilization et que je voulais faire quelque chose dans le même esprit, mais en réaliste. Je voulais qu’on ait l’impression de voir de vraies fourmis à l’écran avec de vrais comportements de fourmi.” Le jeu s’oriente vers la stratégie-gestion avec deux choix proposés à l’utilisateur. “Soit il entretient sa fourmilière, soit il s’amuse à envoyer les fourmis en mission” explique l’auteur. Mais que sont devenus l’esprit du roman et la fantastique aventure de 103 683ème ? Bernard Werber tranche : “On n’a volontairement pas retransmis certains aspects du roman parce que sinon ce n’était pas amusant à jouer. On a pensé faire un jeu un peu à la Myst où le joueur doit retrouver toute l’histoire, mais on s’est arrêté pour une raison simple : j’aime pas Myst.” Les jeux où il faut prendre des notes, tourner des boutons pour finalement errer dans un univers insoluble, ne sont pas du goût de Bernard Werber.
L’auteur-joueur préfère de loin mener son jeu virtuel en décidant lui-même de la stratégie à adopter. Direct, il ajoute : “le principe du jeu c’est plutôt : amusez-vous comme si vous aviez un terrarium à la maison”. Une pratique qu’il avait lui-même expérimentée, sur une vraie fourmilière empruntée à la forêt de Fontainebleau, juste le temps d’écrire ses ouvrages. Aujourd’hui, la fourmilière est retournée à son milieu naturel et l’écrivain s’occupe de son terrarium virtuel. “Ce qui est rigolo, c’est de pouvoir avoir trois cents fourmis sur le même écran qui ont toutes des comportements intelligents car on a mis énormément d’intelligence artificielle dans le jeu” explique-t-il, l’air ravi.
Think different ?
L’auteur ne s’endort pas pour autant devant son écran. Il met en ce moment la touche finale à un court-métrage, sur le thème du jeu d’échecs, avec 70 % d’effets spéciaux. La bande-annonce est d’ailleurs disponible sur le CD-Rom Les Fourmis et le film est évoqué dans L’Empire des anges, son dernier livre. Une auto-promotion entre supports que Bernard Werber aime à qualifier de synergique. “Ce qui m’intéresse c’est de pouvoir raconter des histoires à travers des supports différents." Question film, Bernard Werber fourmille de projets. Il poursuit actuellement un autre vieux rêve contrarié. Faire jouer ses fourmis dans une vraie production de cinéma. Pour cela, il avait pris contact dès 1991 avec la société Medialab. Problème : Medialab propose une coproduction avec une firme américaine. L’idée plaît, elle sera réalisée et portée à l’écran en 1998, mais sans Werber... Ça vous dit quelque chose Les Fourmiz et Mille et une pattes, les deux dessins animés de Dreamworks et Walt Disney ? “Ce n’était pas la première fois qu’on me piquait une idée. Dès qu’on innove, c’est repris. Et de toute façon, je n’ai pas l’esprit procédurier", concède Werber. L’auteur affirme également avec conviction avoir inspiré le fameux slogan de la marque à la pomme, “Think different". À cause de cette formule, répétée dans les premières pages des Fourmis : “Pensez autrement". Werber est un homme plein d’inventions. Mais, après vérification, il n’y est pour rien dans le sac avec les poches à l’intérieur.
Un travail de fourmiLes Fourmis
Les Fourmis, version CD-Rom, ce sont plus de deux ans de développement,
86 personnes à plein temps, un moteur de jeu mêlant animation 3D et
intelligence artificielle. Le résultat ? Un jeu réaliste mais assez fastidieux.
es infraterrestres ont débarqué ! En lançant Les fourmis, vous devenez le dépositaire de l’avenir d’une fourmilière de Bel-o-Kan, et vous vous préparez à voir le monde au ras du sol. Imprégné de la trilogie de Bernard Werber, le jeu vous plonge au cœur de la vie infraterrestre. Attention, cependant : ce type de jeux requiert l’apprentissage de toutes les fonctions, il est donc conseillé de suivre le tutorial. Pendant les onze niveaux, dont la difficulté va croissant, il faut respecter des objectifs précis, rapporter de la nourriture, se défendre contre les ennemis, faire éclore des hordes de nouvelles fourmis et gérer la fourmilière avec suffisamment de brio pour qu’elle vive en autarcie. Six game designers, une soixantaine d’infographistes 3D et une vingtaine de programmeurs ont travaillé pendant près de deux ans et demi à la production du jeu qui aura coûté plus de 10 millions de francs. Un gros investissement pour la société Microïds. “C’était un projet complexe à mettre en œuvre, raconte Julien Marty, chef de projet de 27 ans. Nous avons dû innover sur des concepts de programmation.” Première étape : trouver un moteur de recherche adapté. Une quête de trois mois, à laquelle Werber a participé : il fallait établir un rapport convenable entre le nombre d’animaux affichés à l’écran et la qualité de l’intelligence artificielle. Pour Bernard Werber, pas question de sacrifier au plaisir du jeu pour respecter la réalité à la lettre. “C’est agréable de travailler avec un vrai joueur, raconte Julien. Au moins on se comprend : Bernard a préféré le côté ludique au côté strictement réaliste.” Au final, le jeu est plutôt joli, animé, mais pas simple pour autant. Des heures de réflexion seront nécessaires pour venir à bout de la dernière mission.
> Les Fourmis, 346 F, Microïds