Mary Meeker, l’analyste vedette de Morgan Stanley, est accusée d’avoir causé la ruine d’investisseurs. Les plus grandes banques d’affaires du monde sont dans le collimateur.
Serait-ce la Révolution à Wall Street ? Des investisseurs mécontents viennent de porter plainte contre Mary Meeker, l’analyste vedette de la banque d’affaires Morgan Stanley, surnommée la "reine de l’Internet". Les investisseurs lui reprochent d’avoir publié plusieurs études recommandant vivement d’acheter des valeurs Internet (Amazon et eBay). Aujourd’hui, ces investisseurs ont perdu leur chemise et cherchent un responsable à leurs malheurs. Explication. Les études de la banque d’affaires Morgan Stanley - comme celles des autres "Big Five" : Merrill Lynch, Credit Suisse First Boston, Goldman Sachs et JP Morgan - portent sur des entreprises clientes de ses services. La banque d’affaires n’a donc pas intérêt à "démolir" une société - même mal gérée - sous peine de la voir filer chez une banque concurrente. Or, outre le métier de banque d’affaires, les "Big Five" exercent aussi l’activité de courtier (vente de titres) auprès d’autres clients, des investisseurs institutionnels et particuliers. Et, plus un client achète de titres, plus le courtier touche de commissions.
Des études très intéressées
En résumé, les investisseurs reprochent aujourd’hui aux banques d’affaires de publier des études complaisantes sur leurs entreprises clientes. Des études sur lesquelles les courtiers s’appuient à leur tour pour vendre, auprès des investisseurs, les actions des mêmes entreprises. Ces pratiques n’ont pas échappé aux autorités boursières américaines. Laura Unger, la patronne de la SEC, le gendarme de Wall Street, a révélé que plusieurs analystes avaient donné des recommandations d’achat sur certaines sociétés, quelques jours avant de vendre à titre personnel des titres de ces sociétés... Les poursuites engagées contre Mary Meeker marquent un tournant. Depuis 1999, cette femme de 41 ans et Henry Blodget, son alter ego chez Merrill Lynch, régnaient sur les valeurs Internet cotées à Wall Street. Couronnés par leurs pairs, intronisés meilleurs analystes des valeurs Internet par le magazine Institutionnal Investors, rien ne semblait pouvoir ternir leur blason. Pas même le plongeon collectif d’Amazon, eBay, Yahoo et autres eTrade. Coup de théatre : à la mi-juillet, un client de Merrill Lynch engage des poursuites contre Henry Blodget, l’accusant de lui avoir fait perdre 500 000 dollars en recommandant à l’achat l’action Amazon, une entreprise sous contrat avec Merrill Lynch... Au pied du mur, Merrill a préféré dédommager l’investisseur lésé, en lui versant 400 000 dollars. Une volte-face qui ressemble fort à un aveu.
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Attaqquée à son tour, Morgan Stanley ne semble pas vouloir adopter la même stratégie et prend la défense de Mary Meeker. La banque d’affaires se retranche derrière un communiqué de presse aussi tranchant que laconique : "Ces accusations sont injustes, floues et sans fondement juridique." De ce côté-ci de l’Atlantique, le mutisme est de rigueur. "Je n’ai aucun commentaire à faire", martèle Peter Bradshaw, l’analyste Internet vedette de Merrill Lynch en Europe. "Je n’ai pas d’opinion sur cette affaire", imite Jean Raby, spécialiste Internet chez Goldman Sachs. Reste que les analystes financiers ne pourront pas échapper à une séance d’auto-critique. "Poussée par des clients particuliers qui osent désormais s’attaquer aux grandes maisons de courtage, Wall Street vient d’entamer une réflexion de fonds, raconte un banquier parisien. Il s’agit de faire le bilan de ce qui s’est passé depuis trois ans, de moraliser tout cela et d’agir avec davantage de transparence."