Une association madrilène contre la torture se voit infliger une amende de 60 millions de pesetas (2,5 MF) pour avoir diffusé en ligne des condamnations de policiers espagnols.
Depuis plusieurs années, l’Association contre la torture (ACT) publiait sur papier des rapports sur les policiers espagnols jugés pour mauvais traitements. L’association madrilène répertoriait le nom des accusés, le service où ils officiaient et l’état d’avancement de leur procès. À chaque fois, un exemplaire était envoyé au ministère de l’Intérieur, et celui-ci n’y trouvait pas grand-chose à redire. Mais lorsque l’ACT a commencé à diffuser ses infos sur le Net, les grincements de dents ont pris de l’ampleur. Et, à peine la loi sur la protection des données était-elle entrée en vigueur, en mars dernier, que l’ACT s’est retrouvée sur le banc des accusés. (Lire Espagne : un site contre la torture censuré ). La sanction (administrative) vient de tomber : une amende de 60 millions de pesetas (près de 2,5 MF).
Condamnations : des données publiques ?
L’Agence de protection des données (APD), l’équivalent espagnol de la CNIL (Commission nationale informatique et libertés), s’était chargée de l’affaire après avoir reçu des plaintes... le jour même de l’entrée en vigueur de la loi sur la protection des données personnelles. C’est sur la base de ce texte que l’organe administratif a rejeté les arguments de l’association. Celle-ci estimait que les données mentionnées sont publiques et d’intérêt général, publiées par les journaux ou communiquées par les tribunaux eux-mêmes. Dans sa longue résolution, l’APD a mobilisé toutes les subtilités de la jurisprudence pour contrer l’argument : selon cette instance, des condamnations judiciaires ne peuvent être considérées comme d’intérêt général que lorsqu’elles sont publiées intégralement... L’APD n’avait pourtant pas besoin d’aller aussi loin dans son argumentation puisque la loi espagnole, issue de la directive européenne sur la protection des données personnelles, précise que les données issues de condamnations pénales ne peuvent être collectées et diffusées que sous le contrôle d’une autorité publique. La même disposition est en vigueur en France. Cette harmonisation a d’ailleurs poussé l’APD à déposer des recours auprès de ses homologues européens pour tenter d’obtenir la fermeture des sites miroirs qui ont fleuri en soutien à l’Association contre la torture.
L’héritage du franquisme
En infligeant une amende d’un tel montant (le plafond étant de 100 millions de pesetas), l’APD a visiblement cherché à taper fort. "Ils cherchent à nous étouffer, dénonce Jorge del Cura, président de l’ACT. Jusqu’à présent, ces listes éditées sur papier étaient protégées par la loi sur la presse. On ne pouvait pas nous attaquer." "Le problème, quand on publie sur Internet, c’est que les gens peuvent facilement faire des recherches sur la base d’un nom", rappelle Thierry Jarlet, à la CNIL. En Espagne, la question dépasse le débat sur la protection de la vie privée : le but de l’ACT était en effet de prouver, malgré les dénégations du gouvernement, la persistance de la torture dans les commissariats et les prisons espagnoles, héritage du franquisme. Au nom de la liberté d’expression et d’information, Jorge del Cura a déposé un recours en justice contre l’intervention de l’Agence de protection des données. Et s’il le faut, il compte aller jusque devant la Cour européenne des droits de l’homme.