Hewlett-Packard rachète Compaq pour faire face au leader du marché, IBM. Le supergroupe pourra-t-il gommer les difficultés de ses deux entités et se prémunir de la loi antitrust ?
Toujours plus ! Hewlett-Packard a annoncé, lundi 3 septembre, qu’il rachetait Compaq pour 25 milliards de dollars, créant ainsi un groupe informatique de taille à rivaliser avec le leader IBM : 87,4 milliards de dollars de chiffre d’affaires sur les 12 derniers mois (contre 90 pour Big Blue), 145 000 employés et la première place sur le marché des PC sont les premiers "bénéfices" de la fusion. Carly Fiorina, qui passe de la tête de HP à celle du nouveau groupe, se paye ainsi une méga-fusion comme le marché les aime, un vrai blockbuster économique, démesuré et dramatique : "C’est un mouvement décisif qui accélère notre stratégie et nous met en position de vaincre en offrant une valeur encore plus importante à nos clients et partenaires. Ensemble, nous allons façonner l’industrie dans les années à venir", a prophétisé Carly Fiorina, venue de Lucent à HP en 1999, avec pour mission la restructuration du groupe de Palo Alto. Michael Capellas, le CEO de Compaq, devient président du nouveau groupe qui portera le seul nom "HP". Inventée par trois ingénieurs réunis dans un restaurant de Houston, la star américaine Compaq disparaît moins de vingt ans après sa création.
Supergroupe
La fusion se fera par échange d’actions uniquement, occasionnant une prime de 19 % pour les actionnaires de Compaq, dont l’action cotait à 12,35 dollars vendredi dernier. Les actionnaires de HP détiendront 64 % du supergroupe, le reste revenant à ceux de Compaq, dont le siège de Houston ne sera plus qu’une seconde base, le quartier général étant établi à Palo Alto, en Californie. Le colosse HP-Compaq estime qu’il pourra réaliser des "synergies" amenant une réduction de coûts de 2,5 milliards de dollars. La stratégie officielle est claire : d’abord, mettre la pression sur Dell en reprenant la tête du marché des PC qu’il a subtilisée à Compaq au début de l’année. Ensuite, se mesurer à IBM et Sun sur le marché des gros serveurs, en promouvant la plate-forme technique d’Intel choisie par HP et Compaq pour concurrencer les puces de leurs rivaux. Enfin, faire front dans le domaine des services, où Compaq a fait récemment de gros efforts pour s’assurer le genre de revenus stables qui fait la grande force d’IBM.
Licenciements supplémentaires
Voilà pour la théorie, qui dit qu’une mégafusion donne un mégagroupe plus fort que la somme de ses parties. Dans les faits, HP et Compaq connaissent depuis longtemps des difficultés qu’ils n’ont pas su surmonter seuls. Dans sa dernière grande manœuvre à la fin de l’année 2000, HP a tenté d’avaler la division consulting de Price Water House Coopers afin de rattraper son retard dans le domaine des services. Malmené en bourse, le groupe de Carly Fiorina n’avait finalement pas pu aligner les 18 milliards de dollars nécessaires. De son côté, Compaq n’a pas brillé en rachetant le fabricant de puces Digital Equipment pour équiper ses gros serveurs avant de finalement revendre, en juin 2001, toute sa division semi-conducteurs à Intel. Cette année, HP et Compaq ont vu leur part de marché et leurs résultats reculer, suivis par la dégringolade de leur cours de bourse : diminution de 76 % depuis son pic début 1999 pour Compaq, moins 66 % pour HP, qui avait atteint son plus haut à l’été 2000. Au début de l’année, les deux groupes ont donc annoncé des licenciements importants : 8 500 chez Compaq, 9 000 chez HP. Et il se pourrait que les coupes claires continuent puisque les deux constructeurs ont le défaut d’être construits sur des modèles proches, autour d’une gamme de produits similaires : PC (desktop et portables), serveurs, imprimantes et services. La "complémentarité" passera donc d’abord par des licenciements supplémentaires, 15 000 selon un document que s’est procuré le magazine anglais The Register. Enfin, les observateurs américains ont souligné la différence des cultures d’entreprise dont sont empreints les deux groupes : rivé sur les objectifs de rentabilité, Compaq serait un groupe dynamique et hardi à l’américaine, au contraire de HP, connu pour son conservatisme et même un certain respect du bien-être des employés. Ambiance.
Risque antitrust
HP pourrait enfin connaître un autre des maux modernes liés à la gloutonnerie : le procès antitrust. Les autorité européennes et américaines doivent en effet encore donner leur feu vert à la fusion. Ensemble, HP et Compaq représentent plus des deux tiers des ventes de PC dans les magasins américains et n’y ont pas de vrai concurrent. Dell et Gateway ont eux bâti leur succès sur la vente directe par correspondance.
Si le ministère de la Justice américain voulait chercher des poux dans la tête de HP, l’enquête prendrait des mois mais pourrait retarder l’entrée en vigueur de la fusion, prévue pour le premier semestre 2002. Face à de tels enjeux, le marché lui-même semble hésiter à souscrire à la belle histoire du grand HP : à trois heures de la fermeture des bourses américaines aujourd’hui, le cours de HP avait pris un bouillon de 14 %, celui de Compaq reculant de 3,81 %.