Quand et comment avez-vous découvert Internet ?
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En 1995, au Centre Pompidou dans le cadre de la revue Traverses avec, dès 1992, la découverte des BBS sur Amiga comme préambule de la communication en réseau.
Pourquoi vous êtes vous impliqué dans Internet ? Quel a été le déclic ?
Internet constituait, pour nous, un moyen d’assurer à nos activités une visibilité plus grande qu’avec les moyens classiques. Nos activités étaient dès le départ liées aux nouvelles technologies. Le déclic s’est fait dès 1995, nous lisions beaucoup de livres américains de prospectives qui signalaient, dès cette époque, le potentiel du réseau cybernétique. Au début il s’agissait de notre part moins d’opportunisme que d’intérêt pour un média nouveau où tout était à inventer.
Quand avez-vous compris que cela allait vraiment décoller en France ?
En 1998, lorsque le gouvernement a commencé à modifier sa politique par rapport au Minitel.
Comment avez-vous vécu la période automne 1999-printemps 2000 ? Que faisiez-vous ?
Les soubresauts de la netéconomie ne nous ont pas touchés, du fait que notre activité est relativement indépendante de l’état du marché et se concentre principalement sur la « part maudite » du Réseau, c’est-à-dire l’art et la culture. En fait, nous nous sommes amusés de tous ces effets d’annonce et de mode. Nous sommes véritablement étrangers à cet univers, nous le regardons en entomologistes.
Comment analysez-vous aujourd’hui cette frénésie de huit mois ?
À l’époque, n’importe quelles dotcoms trouvaient des investisseurs, sans aucune viabilité économique et surtout sans aucune compréhension profonde du Réseau. Il y avait là une superficialité, un effet d’entraînement comme si notre époque cherchait artificiellement de nouveaux débouchés.
Quel a été, selon vous, le signal de la chute des dotcoms ?
Quand les médias ont commencé à s’enthousiasmer pour la netéconomie. Leur enthousiasme n’est jamais très bon signe.
Que faîtes-vous aujourd’hui ?
La même chose qu’en 1995 : nous croyons que l’économie sur le Réseau ne saurait se réduire à un commerce dans le sens naïf du terme, car toute économie a besoin d’un « supplément » qui réside, selon nous, dans l’art. Le Réseau devient intéressant socialement s’il parvient à produire des cultures, des imaginaires et des codes symboliques nouveaux.
Croyez-vous toujours autant à Internet ?
Oui, mais pas comme un réseau isolé. Nous devons le lier à d’autres réseaux déjà existants. L’idée de réseau consiste dans le fait que chaque média fait réseau avec un autre média. D’où le fait qu’il faut imaginer des voies de passages entre Internet et le cinéma, la télévision, l’édition, etc. Internet ne vient pas remplacer les autres médias, il s’y articule.
Croyez-vous au commerce en ligne ? Croyez-vous à l’avenir du Web non-marchand ?
Cela dépend ce que l’on nomme le Web non-marchand. Si nous entendons par là un Web sans aucun moyen financier, cela a un avenir et porte déjà un nom : « les pages persos ». Si on entend par là l’élaboration d’une économie qui n’est pas seulement fondée sur l’achat de biens matériels, mais aussi sur le loisir ou ce qu’on nomme plus justement l’« entertaiment », alors nous pouvons supposer qu’Internet peut devenir un média extrêmement performant dans ce domaine. L’industrie culturelle et l’industrialisation de la culture est une des questions posées à l’avenir du Web.
Comment voyez-vous les années à venir ?
Toutes les prévisions se sont jusqu’ici trompées parce que le temps technologique est celui de l’innovation permanente : une vitesse qui se dépasse toujours elle-même dans un mouvement d’obsolescence immédiate. Une nouveauté à peine annoncée est déjà dépassée. Les prévisions générales sont souvent faites pour rassurer quelques investisseurs incertains.
Croyez-vous toujours dans ce qu’on a appelé la « netéconomie » ?
Oui, mais avec des voies de développement plus subtiles et fondées sur une compréhension plus intense du Réseau. La netéconomie a été souvent une économie sans fondement, sans concept et sans analyse. Quand on lit des livres sur le sujet, c’est assez étrange comme si l’argent fonctionnait sans aucun régime symbolique, comme si les internautes étaient un stock d’acheteurs toujours disponible. L’économie fonctionne sur des modalités plus diversifiées et complexes.
Quelles vont être, selon vous, les futures grandes échéances, et que vont-elles apporter ?
Tout d’abord l’introduction de la 3D avec Macromedia et Intel qui va bouleverser notre conception des interfaces et les modes de navigation. Internet va sans doute évoluer vers une fusion entre le Réseau et le concept de « réalité virtuelle », ce qui est le sens originel du « cyberespace » chez W. Gibson. Ensuite, l’introduction culturelle d’Internet dans le corps social qui va, peut-être, avoir comme effet que les internautes vont prendre le temps, perdre du temps, regarder et entendre, et, qui sait, être émus par ce qu’ils voient.