L’Allemagne fête le 3 octobre le dixième anniversaire de sa réunification. Depuis 1990, Allemands de l’Est et de l’Ouest cohabitent tant bien que mal. Le débat sur le passé commun et l’intégration interne est au point mort. Pourtant, la multitude de sites Internet sur le thème de la RDA montre que le besoin de communiquer et les passions sont toujours là.
©Andreas Von Lintel/AFP |
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Quelle était la nationalité d’Adam et Eve ? Russe, bien sûr. Ils n’avaient ni habits ni maison, mais se croyaient tout de même au paradis." Cette plaisanterie, un classique de l’humour est-allemand, se retrouve sur le site ddr-witze (rda-plaisanteries), un site entièrement consacré aux bonnes blagues d’avant la réunification, proclamée le 3 octobre 1990. Les curieux pourront aussi aller sur le site ddr-musik pour charger un morceau des "Puddies", le légendaire groupe rock est-allemand. Ou apprendre tous les détails comiques et affligeants de la vie privée d’Erich Honecker.
Un monde trop rapidement disparu
Depuis quelques années, les sites Internet sur le thème de la RDA ne cessent de se multiplier. Aujourd’hui, on en compte plus de 500, des sites officiels (archives de la Stasi), muséographiques ou universitaires, jusqu’aux sites dédiés aux médailles militaires est-allemandes en passant par les communautés de collectionneurs de Trabant. Même eBay, le leader mondial de la vente aux enchères en ligne, a sa rubrique RDA et offre pour pas cher l’uniforme bleu et or du jeune pionnier socialiste. "Le phénomène ne se résume pas seulement à de la nostalgie ou à des sites de collectionneurs. Il y a une relation évidente entre cette floraison et le besoin qu’ont les Allemands de se rappeler ou de découvrir un monde qui a trop rapidement disparu, de parler du passé et d’échanger son expérience personnelle", analyse le Dr. Andreas Ludwig qui dirige le Centre de documentation sur la vie quotidienne en RDA à Eisenhüttenstadt, près de Berlin. Dix ans après la réunification, les dernières traces tangibles de la RDA ont été effacées. Les noms des rues ont été changés, les produits est-allemands ont disparu des rayons des magasins, les infrastructures ont été rénovées, les gigantesques combinats industriels ont été remplacés par de petites unités de production modernes ou par des terrains vagues. Enfin, les "Plattenbau", ces grandes barres HLM caractéristiques de l’urbanisme socialiste, ont été repeintes et "réhabilitées". Quant à retrouver l’emplacement du Mur de Berlin, c’est devenu un jeu de piste pour initiés.
Faire face au passé
En revanche, le souvenir et l’expérience de 40 ans de socialisme n’ont pu être effacés des esprits. Côté est-allemand, le besoin de parler reste énorme. Or, le débat public sur le passé qui avait été lançé au moment de l’ouverture des archives de la Stasi ou des "procès du Mur", est au point mort. Pour preuve, la polémique un peu dérisoire qui oppose actuellement sociaux-démocrates et conservateurs, deux partis de l’Ouest. Entre la CDU et le SPD, c’est à qui s’adjugera la paternité de la réunification. Un débat purement politicien qui ignore royalement les préoccupations des Allemands de l’Est. "Celui qui veut savoir aujourd’hui qui il est et pourquoi les choses sont comme elles sont en Allemagne doit obligatoirement faire face à son passé... Il ne suffit pas de connaître l’histoire de l’Allemagne de l’Ouest. Il faut aussi savoir ce qui s’est passé en RDA pendant 40 ans. C’est précisément le but de notre site Internet", annoncent ainsi Meike Wulff et Sascha et Manfred Röbert, les créateurs de ddr-im-www . Ce site offre une documentation sur les événements et les personnalités de 1989, une galerie de photos ou encore les grandes périodes de l’histoire est-allemande.
Parasites de l’Ouest contre fainéants de l’Est
Créer un espace libre de débats et de rencontres Est-Est mais aussi Est-Ouest est également l’objectif de Zonentalk, un site lancé au printemps 2000 par des étudiants de Chemnitz et de Berlin. Ceux-ci comptent réunir les témoignages les plus intéressants sur la vie quotidienne en RDA et les rapports Est-Ouest dans un ouvrage à paraître l’année prochaine. Dans les forums de discussions de Zonentalk, le ton des contributions virtuelles n’est pourtant pas toujours courtois et frise parfois l’insulte, les "parasites de l’Ouest" s’opposant alors aux "fainéants de l’Est". Félix Mülhberg, qui accompagne le projet, reconnaît que les échanges sont encore lourdement marqués par les clichés. Mais, pour lui, c’est signe que le sujet de l’unification allemande est plus actuel que jamais et n’a pas perdu sa charge émotionnelle. Depuis sa création, Zonentalk a reçu plus d’un million de visiteurs avec une tendance à la hausse.
"La place de l’Internet dans le débat sur la réunification doit être relativisée, estime Andreas Ludwig.C’est un espace où l’on peut s’exprimer plus librement et qui joue un rôle d’exutoire. C’est pratique et pas cher. Néanmoins, dans tout ce qu’il s’y dit, on trouve beaucoup de déchets. Et puis les avis des plus jeunes et des plus âgés sont sous-représentés. Les premiers sont trop jeunes et ne s’intéressent à la RDA qu’en tant que phénomène de mode. Les seconds utilisent rarement l’Internet. En revanche, ce qui se passe sur le Web est un très bon indicateur de tendance qui marque à quel point la question du passé et de la réunification est bien loin d’être réglée."