Lors des plaidoiries sur le filtrage éventuel d’un portail raciste par des fournisseurs d’accès, le procureur de la République a considéré la procédure initiée par l’association J’accuse ! comme inappropriée.
Il a dégommé tout le monde : les associations anti-racistes - dont J’accuse ! - qui demandent à treize fournisseurs d’accès français d’empêcher les connexions à un portail ultra-raciste ; la défense des entreprises mises en cause et même le juge des référés, Jean-Jacques Gomez. Représentant le parquet, Pierre Dillange avait pris le soin d’assister à la dernière journée d’audience de référé du procès J’accuse !, mardi 2 octobre, au palais de justice de Paris. Légère barbe et lunettes rondes, assis à droite du juge Gomez, le procureur est d’abord resté en retrait, enfoncé dans sa chaise, écoutant sans piper mot les griefs de Stéphane Lilti, avocat de J’accuse, qui protestait contre le parquet "qui ne fait rien" lorsque l’association dénonce un site. Lorsque les treize avocats impliqués dans l’affaire ont eu fini leurs plaidoiries, Dillange s’est levé pour expliquer que somme toute, la procédure n’avait pas lieu d’être : "Je saisis vainement la réalité juridique et judiciaire de ce qui est porté devant vous", a-t-il commencé en s’adressant au juge. Un étonnement manifeste en premier lieu à l’égard de J’accuse ! : "Derrière la musicalité des propos, je ne vois pas ce qui motive l’assignation", dit-il.
Une ordonnance extraordinaire
Pour Pierre Dillange, le trouble invoqué par l’association pour saisir le juge n’est pas suffisamment défini et ses auteurs trop faiblement identifiés pour motiver une procédure de référé (d’urgence). Autrement dit, l’assignation délivrée par J’accuse ! manque de précision. "Votre ordonnance du 12 juillet est extraordinaire, s’exclame-t-il - cette fois-ci à l’adresse de Jean-Jacques Gomez - car elle demande aux associations d’indiquer tout ce qui aurait dû figurer dans l’assignation." Une manière de suggérer que dès cette date-là, le juge des référés aurait dû débouter les plaignants. Son dernier coup de patte va aux avocats des fournisseurs d’accès, dont il s’étonne qu’ils n’aient pas plaidé, dès le départ, le caractère infondé de leur mise en cause. Contacté après l’audience, le procureur affirmera que "leur absence de réaction montre qu’ils ne se sentent pas clairs", dans la mesure "où ils ont beaucoup parlé du coût financier entraîné par une mesure de filtrage".
Au-delà du droit
Auparavant, au cours du procès, les associations ont prouvé leur difficulté à tenir une stratégie cohérente, partagées entre le souci de faire cesser le trouble que représente le portail raciste et le désir de mettre en cause la responsabilité des fournisseurs d’accès. "Je ne plaide pas la responsabilité", déclare, par exemple, Alain Jakubowicz, avocat du consistoire israélite de France, alors que Stéphane Lilti, conseil de J’accuse !, demande de son côté un euro de dommages et intérêts à la partie adverse. Sans pour autant préciser le texte de loi sur lequel il fonde cette demande. "Nous plaidons pour une régulation judiciaire qui passe par les fournisseurs d’accès", affirme, par ailleurs, Me Lilti, confortant ainsi la défense de la partie adverse, pour qui le filtrage ne peut faire l’économie d’une ordonnance du juge. L’argumentation des associations, en fait, a du mal à rester sur le terrain du droit. Alain Jakubowicz ose le parallèle avec les événements du 11 septembre pour souligner la dangerosité de sites qu’il estime "terroristes" et stigmatise "l’hypocrisie" des fournisseurs d’accès qui se disent atterrés par les sites racistes mais refusent de filtrer "parce que ça côute cher". "Vous me faites penser aux promoteurs immobiliers qui font monter les prix après l’effondrement des tours de New-York tout en pretextant la solidarité", lance-t-il à la partie adverse.
Un débat pour le Parlement
Accusés par leurs contradicteurs d’avoir pioché "dans tous les codes" pour établir leur défense, les fournisseurs d’accès et l’association qui les représente (l’Afa), ont eu recours à une argumentation un peu plus juridique : la neutralité des opérateurs de télécom, plaidée par Marie-Hélène Tonnellier, avocate de l’Afa. Le problème de la faute imputée aux FAI, sur laquelle s’interroge Christiane Feral-Schul, conseil d’AOL, qui estime que le débat sur le filtrage a davantage sa place au Parlement. L’avocat de Wanadoo, Bertrand Potot, estime, pour sa part, que les fournisseurs d’accès "ne doivent pas être mis en cause avant les auteurs" et voit dans la stratégie de J’accuse ! une volonté délibérée de s’en prendre aux intermédiaires techniques. Enfin, devançant la pensée du procureur de la République, Nicolas Brault, le conseil de T-Online dénonce la procédure de référé, "traitement civil et médiatique", qui ne règle pas le problème du racisme. L’avis du parquet, cela dit, ne lie pas le juge. D’après le procureur Dillange, il est peu probable que le juge Gomez se déclare incompétent après quatre audience. Celui-ci rendra sa décision le 30 octobre.