Nizar Nayyouf, journaliste syrien et militant des droits de l’homme est poursuivi en diffamation en France par un ex-dirigeant du régime de Damas. Interview.
Poursuivi en diffamation au tribunal de Paris pour un texte publié par le site de la chaîne de télévision Al Jazira, le Syrien Nizzar Nayyouf attend une décision de justice pour savoir si la loi française pourra s’appliquer (lire). Journaliste et militant des droits de l’homme, il a passé 10 ans en prison en Syrie avant d’être libéré, en mai 2001, à l’occasion de la visite du Pape. Victime de tortures, il a été hospitalisé en France. Une occasion saisie par l’auteur de la poursuite, Rifaat el Assad, frère du défunt président Hafez el Assad.
Interview.>
Que vous reproche exactement Rifaat El Assad ?
Un texte publié par un journaliste sur le site Internet de la chaîne de télévision du Qatar Al Jazira, et qui mentionne mes propos au sujet d’un massacre qui a eu lieu dans la prison de Palmyre en 1980. Des centaines de détenus politiques, dont beaucoup étaient Frères Musulmans, ont été tués par des membres des brigades de défense de l’armée syrienne, les Saraya al Difaa. En ce qui me concerne, la seule chose que j’ai dite est la suivante : les Saraya al Difaa étaient sous l’autorité de Rifaat El Assad. [lire à ce sujet le rapport d’Amnesty International NDLR]. Je n’ai rien dit d’autre. Mais lui s’estime diffamé.
Pourquoi vous poursuit-il en France ? Ne devrait-il pas s’en prendre d’abord au journaliste d’Al Jazira ?
Il dispose d’une résidence en France. C’est pourquoi il a porté plainte. En plus il savait que j’étais à Paris car j’avais été invité par Reporters Sans Frontières et le ministre de la santé pour être hospitalisé à la Pitié-Salpêtrière. Il n’attaque pas Al Jazira car c’est un média puissant, surtout depuis quelques mois. Cela pourrait se retourner contre lui.
Que veut-il obtenir ?
À mon avis, il ne veut plus que cette histoire soit évoquée. Ses avocats s’appuient sur un point de la législation française qui établit que certains événements ne peuvent plus être prouvés dix ans après qu’ils ont eu lieu [la défense doit alors mettre en avant sa bonne foi NDLR].
Sa défense semble assez au point pour avoir soulevé ce point plutôt précis de la loi française...
C’est un milliardaire, il a les moyens !
Espérez-vous gagner ce procès ?
Si le tribunal parisien estime que le procès doit continuer, il faudra évoquer le fond, ouvrir le dossier, citer des témoins. Ça ne pose pas de problème. Bien au contraire. Mais ce procès n’est pas le plus important pour moi. Plusieurs actions vont être intentées en Belgique contre le régime syrien. Notamment à propos du massacre de Hama en 1982 pendant lequel plus de 25 000 personnes ont été tuées. C’est le régime syrien dans son ensemble qui doit rendre des comptes.
Vous avez passé 10 ans dans les geôles du régime, entre janvier 1992 et mai 2001. Pourquoi avez-vous été emprisonné ?
Plusieurs choses m’ont été reprochées : avoir créé une association pour les droits de l’homme sans avoir demandé l’autorisation ; avoir publié l’organe d’expression de cette association, un journal, sans autorisation ; avoir incité les mères des prisonniers du régime à manifester. Et enfin on m’a accusé d’avoir publié de « fausses informations » sur la situation des droits de l’homme en Syrie.
Lorsque vous avez, reçu la citation du tribunal, saviez-vous ce qu’était Internet ?
J’ai reçu l’avis du greffier alors que j’étais sur mon lit d’hôpital. J’avais été libéré et autorisé à aller en France quelques semaines plus tôt. ...videmment, quand j’ai été emprisonné, Internet n’existait pas. Mais on m’a expliqué ce que c’était.