Dans le sillage de Danone, Aubade intimide les individus qui publient sur leurs sites persos des pubs détournées de la marque de lingerie. La liberté d’expression est une nouvelle fois remise en question.
“Monsieur, je viens de découvrir avec surprise que sont diffusées par votre intermédiaire, sur votre site, cinq photographies à caractère pornographique, avec pour titre ’Daubade : lingerie de chienne’. Nous n’avons jamais fait de telles photographies !” Jusqu’ici, l’amusante candeur du mail signé par le service juridique d’Aubade et adressé à une dizaine de sites persos ferait rire n’importe qui. Mais la suite coupe net le mouvement des zygomatiques. Dans le droit fil de Danone, Aubade souhaite (discrètement) mettre un terme rapide au détournement de ses publicités. Le moyen utilisé est celui de l’attaque juridique sur le mode “vous faites du tort à notre marque” : “L’usage fait par ce site du terme ’Aubade’ et de la diffusion de telles photographies constituent une atteinte à nos droits et induit une confusion. Il s’agit donc d’une reproduction frauduleuse de la marque déposée Aubade et un plagiat de notre publicité qui crée un dommage à notre société compte tenu du caractère de cette diffusion.” Aubade qui s’attaque à des sites persos ne lésine pas sur l’artillerie : “Nous vous mettons en demeure de faire cesser immédiatement la diffusion de ces photos et nous vous informons que sans réaction de votre part sous huitaine, nous engagerons une procédure et demanderons un minimum de 1 000 000 de francs de dédommagements et intérêts en réparation du préjudice manifeste que nous avons subi." Rien que ça... Mieux vaut ne pas être en vacances cette semaine-là si l’on diffuse ces images.
Inanité du message publicitaire
Les détournements de publicité reproduites sur une vingtaine de sites tentent de démontrer par l’absurde que la femme est placée dans une position d’objet sexuel. Cela passe par un système de dérision très proche de ce que pouvait faire le Professeur Choron dans Hara-Kiri. On apprécie ou pas. Mais ce n’est sans doute pas beaucoup plus “beauf” que de montrer un gros plan sur une poitrine féminine et d’écrire à côté “Leçon n°34 : jouer avec ses nerfs”. Le détournement de pubs est une pratique ancienne fortement reprise ces temps-ci par tous ceux qui s’opposent à l’idée d’une société de consommation dans laquelle les marques seraient toutes-puissantes. Des Canadiens de adbusters aux Français de Casseurs de Pub en passant par Charlie Hebdo et son récent supplément “À bas la pub”, les anti-réclame, parfois issus du milieu de la pub, se mettent à détourner les campagnes pour souligner l’inanité du message initial. Peut-on vraiment avaler que Renault jette ses voitures d’occasion dans le désert depuis un avion lorsqu’elles ne sont pas en assez bon état ? Peut-on raisonnablement croire que toutes les femmes qui portent du Dior s’enduisent, à moitié nues, d’huile de vidange ? Que des crèmes donnent une ligne de jeune fille en 10 jours ?
Jusqu’où la collectivité peut-elle interdire à des individus de s’exprimer (tant qu’ils n’appellent pas au meurtre ou ne prônent pas le racisme) ? Les entreprises ont-elles vocation à bâillonner des individus isolés à coups d’avocats, de procédures procédurières et de millions ?
“Cas Typique”, le webmaster de www.e-connerie.com, l’un des sites menacés par Aubade, explique qu’il ne fait pas un fromage de la liberté d’expression mais qu’il revendique simplement le droit de pouvoir critiquer qui bon lui semble quand bon lui semble dans les limites fixées plus haut. Son site contient d’ailleurs les détournements en question parmi 826 autres concernant de très nombreuses marques. Son souhait est normalement prévu dans la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789... Copiste jusqu’au bout, Aubade souhaitera-t-elle reverser le million (au minimum) de dédommagement à une association défendant la liberté d’expression, comme l’a pour sa part annoncé Danone ? Il n’y a pas de limite au cynisme.