Jean-Charles Bourdier est l’auteur d’un rapport sur le haut-débit en France. Pour lui l’amendement permettant aux collectivités locales de financer des infrastructures télécoms, adopté le 10 mai par les députés est une bonne chose mais ne résout pas tous les problèmes.
L’amendement adopté le 10 mai à l’Assemblée autorise les collectivités locales à investir dans des infrastructures réseau. Vous semble-t-il de bon aloi ?
Cette mesure figurait dans le rapport que j’ai remis au Premier ministre en septembre 2000. Je demandais qu’on abolisse une disposition de la loi sur l’aménagement du territoire. Celle-ci, d’une part, obligeait les collectivités locales voulant subventionner le développement d’infrastructures à haut débit à prouver que le marché n’était pas à même de satisfaire leurs besoins ; d’autre part elle les contraignait à amortir ces investissements sur huit ans maximum. L’assouplissement de ces dispositions était demandé par les collectivités locales, donc je me réjouis qu’il ait été proposé en urgence à l’Assemblée et provisoirement adopté.
Ces mesures sont-elles suffisantes pour désenclaver les zones où le haut débit a peu de chances de pousser
Globalement, on peut diviser la France en trois parties. La première concerne les grandes villes et leur périphérie, pour lesquelles les opérateurs se battent. La seconde correspond aux zones à faible densité d’entreprises et de population où ils n’iront jamais. La troisième coïncide plus ou moins avec les communes de 20 000 à 50 000 habitants. Dans ces villes moyennes, les réseaux sont un enjeu en matière d’emploi. Ils contribuent à éviter que les entreprises ne partent en raison de l’absence d’accès au haut débit et à en attirer d’autres. Mais il ne suffit pas de poser des gros tuyaux. Il faut ensuite organiser l’accès de l’utilisateur final au réseau. Et c’est le dernier kilomètre qui coûte le plus cher. Donc il faut trouver un seuil où l’exploitation du réseau est rentable. En ce sens l’amendement est positif car il parle bien d’évaluer au préalable les besoins des collectivités. Je pense que celles-ci doivent réaliser de véritables business plans pour présenter un projet cohérent.
Cela signifie-t-il que les zones rurales n’ont aucune chance d’avoir accès au haut débit ?
Les zones à faible densité -pas forcément rurales- pourront y accéder si elles sont associées à des zones plus rentables dans les business plans des collectivités locales. C’est la seule manière de pousser les opérateurs à s’y intéresser. Car ils n’ont aucun souci de l’intérêt général et attendent leur premier retour sur investissement la troisième année d’exploitation. Cela paraît évident, mais les décideurs politiques croient parfois encore aux mécanismes anciens où France Telecom collait aux intérêts de l’Etat.
L’exploitation des réseaux doit-elle forcément être assurée par une entreprise privée ?
La loi française et les directives européennes interdisent strictement aux collectivités de jouer le rôle d’opérateur, même dans le cadre de sociétés d’économie mixte. Le risque, si les opérateurs ne sont pas intéressés, c’est que les collectivités locales financent des infrastructures pour rien.
Les technologies qui ne font pas appel à de la fibre, comme la boucle locale radio ou l’ADSL, ne permettent-elles pas de minimiser ces coûts ?
Le problème n’est pas tellement différent. Regardez où l’ADSL est développé aujourd’hui : dans les grandes villes. Quant à la BLR (boucle locale radio NDLR), voyez le peu d’intérêt manifesté par les opérateurs pour un département comme la Creuse. Dans ces deux cas, l’accès de l’utilisateur final au réseau coûte de l’argent.
Pourquoi fallait-il faire passer l’amendement en urgence ?
Les opérateurs s’interrogeront sur l’opportunité d’attaquer les marchés secondaires vers 2004. D’ici là, si les collectivités ne font rien, les entreprises qui ont besoin des réseaux à haut débit seront parties vers les grandes villes. D’autant plus logiquement que, dans le même temps, les tarifs auront beaucoup baissé dans ces zones du fait de la concurrence. Le problème se pose donc en termes de désertification. C’est une question d’aménagement du territoire.