La déprime du marché publicitaire fragilise la plupart des médias en ligne. En panne de revenus, ces derniers doivent imaginer au plus vite de nouvelles recettes pour faire payer leur contenu. Cela, sans compter sur des investisseurs qui leur ont peut-être définitivement tourné le dos.
Peggy Pierrot |
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Publier un ’papier’, même sur Internet, coûte de l’argent. Il faut payer les journalistes et les pigistes, il faut acheter de la bande passante et entretenir les serveurs, il faut payer les dépenses de reportage." C’est par ces mots de son fondateur David Talbot, que les lecteurs de Salon - le quotidien en ligne californien - ont appris cette semaine le passage d’une partie de leur journal en mode payant. L’abonnement annuel Premium de 30 dollars (environ 215 francs) donnera accès à des articles exclusifs, publiés dans des pages vierges de publicité. Les aficionados proches de leurs sous conserveront la possibilité de lire une partie du contenu de Salon, mais devront en contrepartie subir la présence de bandeaux publicitaires agrandis.
Stratégies hésitantes
La décision de David Talbot, l’un des pionniers du journalisme en ligne (il lança Salon en 1995), est symptomatique de l’ambiance qui règne dans le monde des médias Internet. Le site du magazine américain Variety et celui de FuckedCompany viennent eux aussi d’annoncer leur passage en mode payant ou partiellement payant. D’autres se cherchent : le New York Times (en 1998) et street.com (en 2000) ont renoncé à faire payer une partie de leur contenu ; à l’opposé, la webtélévision française CanalWeb a annoncé en février qu’elle envisageait de faire payer aux "webspectateurs" l’accès à certains de ses programmes. Pour tout arranger, une étude Jupiter MMXI montre que 60 % des internautes américains sont réfractaires au paiement du contenu puisque, disent-ils, "Internet c’est gratuit" ! En définitive, seul le Wall Street Journal a, depuis 1996, toujours fait payer son information, avec un certain succès. Moins chanceux l’immense majorité des médias en ligne, journaux, portails, diffuseurs, doivent aujourd’hui faire preuve d’imagination, sous peine de faire faillite. Nombre d’entre eux se sont construits, dans l’euphorie, voire la précipitation, sur un modèle exclusivement publicitaire et avec des ambitions parfois planétaires, et des budgets irréalistes.
La grande braderie des espaces publicitaires
Mais voilà, la bise succède à la bulle, les dépenses de marketing et de communication se contractent, les campagnes se font plus rares, et certains médias n’ont d’autre recours que celui de brader leurs espaces publicitaires vacants. Le portail Wanadoo, pourtant le leader français, a ainsi vu son coût pour mille (1) chuter de 35,5 euros (233 francs) à 28,9 euros (190 francs) entre juin et décembre 2000. "Et ce chiffre devrait encore baisser", prévoit Nicolas Dufourcq, le PDG de Wanadoo. Or, tous les sites n’ont pas les reins de Wanadoo. D’autant que, au ralentissement du marché publicitaire, s’ajoute la désaffection des investisseurs. "Les dirigeants de sites de contenu doivent comprendre qu’ils ne lèveront plus jamais d’argent. La fenêtre s’est définitivement refermée", lâche, sans ambages, un acteur majeur du capital-risque français. En France, les difficultés récentes de Nouvo ou de ClicVision ((lire l’interview de son directeur général adjoint, Antoine Bourdillon) ne font certainement que marquer le début de l’hécatombe...
Les sites de médias ne sont pas des commerçants
Tout se passe comme si les patrons de médias en ligne, les investisseurs, les lecteurs, feignaient de découvrir - comme l’explique David Talbot - que la gratuité de l’information en ligne est un mythe et que la créativité ne suffit plus à nourrir son homme. Mais, alors, que faire ? Certains, dont Salon, se sont essayé au commerce électronique. "Pourtant, les médias traditionnels n’ont pas vocation à se transformer en cybermarchands, avertit Olivier Beauvillain, un analyste de Jupiter MMXI spécialisé dans les médias en ligne européens. S’ils vendent ce sera de toute façon par programmes d’affiliation." À l’image de l’espace boutique du New York Times ou de Libération. S’ils n’ont que peu de légitimité à se transformer en cybermarchands, les sites de contenu peuvent au moins revendre leur contenu : c’est la syndication. "Mais cette source de revenu ne peut suffire à faire vivre un média, souligne Olivier Beauvillain. Aux ...tats-Unis, sur un chiffre d’affaires de 10 dollars, un dollar seulement provient de la syndication de contenu, le reste vient de la publicité."
L’espoir du haut débit, mais pas avant quelques années
Seul espoir, le développement du haut débit pourrait servir de tremplin à la syndication. Les fournisseurs d’accès devront ainsi proposer des bouquets aux contenus diversifiés pour séduire de nouveaux clients. Pour ces derniers, deux types de formules sont à l’étude. Soit un abonnement "de base" assorti d’un paiement à l’unité pour chaque "contenu consommé", c’est le pay-per-view. Soit une formule "tout compris", mais avec un abonnement plus cher. Les producteurs de contenu, eux, se verront reverser une partie de ces sommes par le fournisseur d’accès, un peu à l’image de ce que fait France Télécom avec le Minitel. Quoi qu’il en soit, ces formules ne s’imposeront pas du jour au lendemain. Selon Jupiter MMXI, la France ne comptera que 27 % d’abonnés Internet haut débit... en 2005.
(1) Coût pour mille (CPM) : prix d’un bandeau publicitaire vu mille fois.