Interview avec le directeur du prestigieux MediaLab n’en revient pas du mal de la France à rattraper son retard en matière technologique.
En 1985, Nicholas Negroponte était traité de " charlatan ". On lui reprochait davoir créé, au sein du prestigieux Massachusetts Institutes of Technologie, un laboratoire consacré à la recherche sur les nouvelles technologies numériques et le multimédia. Aujourdhui, cette industrie pèse désormais des dizaines de milliards de dollars. Tout sourire, costard rayé gris et chaussures cirées, Nicolas Negro Ponte est un homme convaincu. Quon puisse ne pas être totalement de son avis le laisse pantois. Et quand il fait visiter son labo, il annonce :
" Regardez bien, explique-t-il. Ici, vous avez ce qui est aujourd’hui presque banal et nous a fait traiter de fou. Là, vous avez ce qui nous fait traiter de fous aujourdhui mais sera banal dans dix ans... "
Quand vous avez créé le Medialab, pas mal de personnes vous ont dit que vous étiez fou. Que disent-ils aujourd’hui ?
Nous avons été pas mal ridiculisé au début du MediaLab, et le mot " charlatan " était souvent utilisé pour me décrire. Très peu de personnes pensent aujourdhui que le MediaLab est stupide, le multimédia est, après tout, une industrie de plusieurs milliards de dollars, mais certains restent réticents à notre style, car nous ne suivons pas les dogmes rigides académiques. Ils nous trouvent trop spectaculaires ? Franchement, nous sommes passés des fous du roi à membre à part entière de lestablisment trop rapidement. Cétait beaucoup plus drôle dêtre considéré comme des charlatans que comme des établis ?
Daprès vous, quelle est la principale réussite du MediaLab sur ces dernières années ?
La nouvelle façon de regarder l’informatique, beaucoup plus tourné vers les gens, avec plus de richesse dans les sensations, et un effort pour améliorer les interfaces. Je pourrais lister des brevets, des publications, des produits, qui sont des objets prouvant notre succès, mais la vraie réussite cest létat desprit.
La plupart des membres du Lab sont très jeunes.
Je ne me souviens pas des chiffres exacts, mais disons que lâge moyen est de 23 ou 24 ans. Mais certains ont 16 ans ! Jaime décrire mon boulot comme celui de quelquun qui doit gérer une société avec un turn-over de 20 % par an. Mais dans mon cas les nouveaux 20 % ont toujours entre 20 et 24 ans. Je vieillis, mais les autres restent jeunes.
Vous parlez de révolution numérique, mais les deux tiers de la planète nont pas accès à cette révolution. Et même dans les pays développés, les ordinateurs ne sont pas encore partout.
Vous devez comprendre lexponentialité pour vraiment appréhender le phénomène, et sa vitesse. Le Tiers-monde devrait même devenir numérique plus vite que certains coins du vieux monde car ils nont pas à sencombrer de lhistoire (et par exemple de systèmes téléphoniques anciens) et leur population est plus jeune, donc plus adaptable. Bien sûr, nous devons baisser le prix des télécommunications et des ordinateurs. Un programme international pourrait aider à cela. Mais la force la plus importante est létat desprit.
Je dis cela parce que la France est le pays le moins numérique que je connaisse. Votre minitel était génial, mais il na pas évolué. Le faible équipement des foyers français, même sil augmente, est un crime et vos petits-enfants ne vous le pardonneront pas. Votre société est relativement vieille, bornée, et allergique au changement. Et en général vous ne prenez pas la jeunesse au sérieux. Je vous dis cela, mais jaime la France, jy vis autant que je peux, car votre style de vie lui est parfait.
Navez-vous pas peur que les gens perdent le sens des réalités avec le numérique ? Et comment voulez-vous que les gens shabituent à de tels changements, si rapides ?
La question est classique : les capacités humaines satrophient-elles quand une machine fait quelque chose à la place de lhomme ? Ou, autrement, les voitures ont-elles rendu les gens gros ? Je nécris jamais à la main, mon orthographe nest pas terrible, je ne connais pas par cur mes tables de multiplications après 12 fois 12. Je suis en ligne tout le temps et reçois plus de 100 messages par jour, minimum. Je nai pas de bureau au MediaLab et suis tout le temps en voyage, enchaînant les destinations à toute vitesse. Comment je fais ? Chacun sa manière. Cest le genre de décision qui ne peut-être prise pour les autres. Mais une chose que nous avons observé, cest que lhabileté des enfants augmentait quand ils utilisaient beaucoup Internet.