Promoteur du logiciel libre, l’informaticien Bernard Lang se dit scandalisé de l’avis rendu le 18 juillet, par l’académie des technologies, et prônant la brevetabilité des logiciels.
P-E. Rastoin - |
Chargée par le gouvernement de rédiger un rapport sur la question de la brevetabilité des logiciels, dans le cadre des négociations sur une future directive communautaire, l’académie des technologies a rendu son avis au gouvernement mercredi 18 juillet (lire
l’interview de Pierre Perrier). Sans avoir rencontré directement les principaux opposants à la brevetabilité. Mais après avoir auditionné des spécialistes de la propriété intellectuelle et des personnalités émanant d’entreprises telles que Alcatel, Microsoft, Thomson Multimédia, Aventis ou Suez, ainsi que des membres d’institutions universitaires. L’avis de l’académie, favorable à la brevetabilité des programmes informatiques selon certaines conditions, fait bondir les tenants du logiciel libre. Au premier rang desquels Bernard Lang, chercheur à l’INRIA (Institut national de recherche en informatique et en automatique), membre de l’association francophone des utilisateurs de Linux et personnalité du Net français. Interview.
L’académie dit avoir commandé un rapport résumant les positions de différents représentants de la mouvance du logiciel libre. Avez-vous été auditionné ?
J’avais reçu un courrier m’annonçant que je serais très vraisemblablement invité à donner mon point de vue. Finalement, certains s’y sont opposés. Ce qui ne m’étonne qu’à moitié puisque, dans une version provisoire de l’avis qui a transpiré, on parlait de nous comme des "idéologues du logiciel libre". Ce que je constate, c’est que l’académie n’a pas tenu à entendre ceux qui ont soulevé le problème posé par la brevetabilité.
Que pensez-vous du "oui, mais" formulé par l’académie ?
C’est une hypocrisie. Et le document en question est hypocrite. Il rejoint la conception défendue en comité interministériel, selon laquelle on peut breveter si l’on assortit le système de conditions particulières. Mais Bruxelles ne retiendra qu’une chose, le oui de la France à la brevetabilité. Et dira : "tout le monde est pour, allez-y les gars". Pourtant le secrétaire d’...tat à l’industrie, Christian Pierret, a déjà fait des déclarations contre. Mais le gouvernement est soumis à d’intenses pressions de la part des grandes entreprises et des conseillers en propriété intellectuelle.
Quel jugement portez-vous sur les garde-fous préconisés dans le rapport ?
Pour commencer, ces mesures ne sont pas chiffrées. Et elles sont irréalisables. Premièrement, la base de données pour la recherche d’antériorité : les ...tats-Unis ont déjà essayé d’en mettre une en place. Ils n’y sont jamais arrivés. Il y a un tel foisonnement de la connaissance que c’est impossible, sachant qu’il faut répertorier tout ce qui a fait l’objet d’une publication. Quant au fonds de soutien pour prémunir les PME contre des attaques pour contrefaçon de brevet, il est également irréalisable. Le sénateur Pierre Laffite a déjà essayé d’en créer un. Il a essuyé le refus de la Lloyds. Car on ne peut évaluer les risques. Les banques n’en veulent pas.
Dans le rapport, figure aussi l’idée qu’on ne brevettera pas les programmes de base mais que les logiciels qui produiront un "effet technique" pourront l’être...
L’académie ne cesse de mettre en avant l’effet technique Mais ni les auteurs du rapport, ni personne, ne sait ce que ça veut dire. L’avis se termine en soutenant que l’académie devra définir plus précisément ce genre de termes. Ce qui veut dire qu’ils ont pris une décision sur une dont ils n’étaient, eux-mêmes pas sûrs de la signification. Je trouve ça scandaleux. Alors, je ne sais pas, peut-être auraient-ils dû demander des conseils à leurs collègues de l’académie française...
Vous estimez que cette étude manque de sérieux ?
Totalement. De toute façon, il est établi que les conclusions du rapport ont été écrites cinq semaines après la commande de l’étude. Par ailleurs, la littérature économique est unanime sur le thème des brevets. Mais visiblement le document en question n’en a pas tenu compte. D’ailleurs, il ne reprend même pas l’un des arguments sérieux en faveur de la brevetabilité qui est le risque d’affaiblissement des entreprises européennes face aux brevets américains. Un argument, d’ailleurs, que nous réfutons.
La France n’est pas la seule à réfléchir à la question. Avez-vous des informations sur la position allemande ?
Non, je n’en ai pas pour l’instant mais les lobbies y sont puissants aussi. Or l’enjeu est le suivant : désormais les grandes entreprises veulent contrôler la propriété intellectuelle et délocaliser le processus industriel dans les pays en voie de développement. C’est "l’entreprise sans usines", rêvée par le PDG d’Alcatel.