Depuis trois ans, le Pôle des pédagogies spécifiques, installé au lycée Jean Lurçat (Paris 13e) accueille 120 élèves "décrocheurs" et tente de les ramener vers l’école, qu’ils ont quittée. Dans le dispositif, les jeunes, âgés de 16 à 20 ans, ont accès à une "boutique de formation multimédia" mise en place par Christian Vanin, qui accorde autant de place à la création numérique qu’aux contenus pédagogiques.
Le Pôle des pédagogies spécifiques est un projet pilote qui associe, outre le lycée Jean Lurçat, le ministère de l’Education, l’académie et la région Ile-de-France, via le programme Réussite pour tous. Il s’appuie ensuite sur un réseau de 200 partenaires, administrations, associations ou entreprises, qui accueillent les élèves pour des stages d’observation.
"Quand je suis arrivé, il n’y avait pas d’ordinateur", se rappelle Christian Vanin, qui met en oeuvre, à Jean Lurçat, un projet de boutique de formation multimédia qu’il a conçu il y a trois ans. Pour cet ancien responsable des contenus multimédias au ministère de l’Education, ce "petit laboratoire est un outil fabuleux".
Depuis trois ans, 120 élèves suivent des cours en "e-learning", ont accès à des ordinateurs en libre service et suivent des ateliers de création numérique avec des intervenants professionnels. Tous les élèves ont en commun d’avoir "décroché" de l’école pendant plusieurs mois ou plusieurs années et ont au minimum le niveau d’une classe de 3e. Et tous veulent "raccrocher".
Logiciels professionnels
"Nous sommes probablement le lycée le mieux équipé d’Ile-de-France, avec un ordinateur pour deux élèves, explique Christian Vanin, qui a veillé à ce que tous les élèves aient dès le début accès à un appareil photo et une caméra numériques, à un scanner, ainsi qu’à une suite de logiciels professionnels pour les activités photo, vidéo et édition web (Macromédia Flash, Fireworks, Dreamweaver, Paint shop Pro, Reason, Acid DJ, Sound forge...). Et depuis l’année dernière, j’ai enfin réussi a trouver un formateur en musique."
C’est Alex Volta, un des dj les plus connus de la scène drum n’ bass française, qui joue depuis deux ans le rôle de formateur en musique électronique (Lire son interview). Comme dans les autres ateliers de production, ce tuteur atypique accueille en septembre une dizaine d’élèves dans son cours hebdomadaire et n’en conserve finalement que deux ou trois en fin d’année.
C’est à ce moment que les productions des élèves sont exposées, par exemple sur le site du projet ou lors de la fête annuelle de l’école, dont la dernière édition s’est tenue le 13 juin dernier à l’espace culturel multimédia Confluences à Paris.
"Parmi les élèves qui lâchent un cours de production, il y a ceux qui ont fantasmé sur la simplicité de l’outil et s’étaient imaginés qu’ils allaient devenir dj professionnel en trois cours, explique Christian Vanin. D’autres arrêtent parce qu’ils souhaitaient simplement connaître un champ de production, sans vouloir en faire leur activité principale. Je trouve essentiel que, pendant leur année de réorientation, les jeunes découvrent tous les aspects du numérique."
Accent sur l’e-learning
Entre les cours du tronc commun, allégé dans les matières traditionnelles et les ateliers de production, les élèves du Pôle bénéficient d’un suivi, en partie grâce aux nouvelles technologies. Ils disposent d’ordinateurs en accès libre et les intervenants professionnels jouent le rôle de tuteurs, par téléphone ou par email. Pour le soutien et l’accompagnement des cours, Christian Vanin mise également beaucoup sur "l’e-learning", l’enseignement à distance sur support multimédia.
"L’e-learning permet aux absents d’être tout de même présents, souligne le père de la Boutique de formation multimédia, qui a noué des partenariats avec plusieurs éditeurs de contenus pédagogiques, comme Odile Jacob, Nathan ou Hachette. Je compte même donner une place encore plus grande à ces moyens, qui deviennent vraiment personnalisables et utilisables sans l’assistance d’un professeur."
Réassocier travail et plaisir
A l’issue de leur année, 10 % des "décrocheurs" intègrent le monde du travail. Les autres rejoignent, pour moitié, un cursus général ou technologique (bac littéraire ou STT - sciences et technologies du tertiaire, ex bac G) ou professionnel (formation professionnelle, bac pro et BEP).
Pour Christian Vanin, la Boutique de formation multimédia est bien sûr un succès, au départ fondé sur l’intuition que les "nouvelles technologies sont un moyen extrordinaire de raccrocher avec le monde de l’apprentissage, en réassociant la notion de travail à celle de plaisir".
Depuis la première année, l’expérience a tout même livré quelques enseignements et donné lieu à quelques modifications. Ainsi, le "cybercafé", d’accès totalement libre, n’existe plus. "A l’usage, un encadrement est nécessaire, moins pour fliquer que pour aider les élèves bloqués sur une machine", précise Christian Vanin. Pour intéresser les "décrocheurs", le formateur multimédia a aussi abandonné l’idée de les laisser découvrir les outils informatiques progressivement et leur en montre désormais toutes les potentialités dès le début de l’année.
Meilleure image de soi
Pour ses productions, le Pôle délaisse aussi les traditionnelles pages web et sites personnels, au profit de travaux réalisés avec des logiciels professionnels, plus valorisants aux yeux des élèves. Enfin, Christian Vanin souhaite développer des stages plus intensifs, conduits sur plusieurs jours, afin de lutter contre le morcellement des cours hebdomadaires. Il cherche pour cela à obtenir le statut d’artiste résident dans un établissement scolaire pour les intervenants professionnels du programme.
Au final, l’apport de l’arsenal informatique dans la lutte contre l’échec scolaire des élèves du Pôle semble résider moins dans le remplacement des processus éducatifs traditionnels qu’en tant qu’outil au service de d’une démarche tournée vers la production concrète. Christian Vanin voit dans les postes multimédias en accès libre à la Boutique des machines polyvalentes que les élèves peuvent enfin s’approprier, avec un bénéfice à court terme : "Pour des jeunes qui n’ont jamais touché un ordinateur, sauf parfois pour jouer, le fait d’avoir réussi quelque chose leur fait dire qu’ils ne sont plus des ratés."