Janvier 2001, i2bp, la technologie « révolutionnaire » de vidéo sur le Net, est présentée en fanfare. Tous les journaux (Libération, Les ...chos, Paris-Match...) en parlent. RTL y consacre une émission entière. Dans les groupes de discussions et les forums, on se déchire : info ou intox ? Des mois plus tard, qu’est-elle devenue ? Quelqu’un l’a-t-il vue ? Transfert a enquêté.
PROLOGUE
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« La vidéo
plein écran arrive sur Internet ! » Le 22 janvier 2001,
une nouvelle ère aurait pu commencer pour le Net. Ce jour-là,
la société i2bp présente les performances « hallucinantes
» de sa technologie de compression-diffusion vidéo : une qualité
VHS, son compris, à 2 kilooctets par seconde. Pulvérisés,
les standards MPEG, RealVideo et autres Windows Media Video... Il y a plusieurs
milliards de dollars à la clé et Jean-Yves Charron, président
d’i2bp et de son incubateur, l’Atelier de l’Innovation, s’apprête
à vendre sa technologie miracle au plus offrant. Microsoft, Real
Networks, France Télécom... Tous les mastodontes du secteur
lui mangeraient dans la main, assure-t-il. Triomphant, il n’oublie pas de
saluer l’initiateur du projet, Marc-...ric Gervais, et son équipe
de jeunes développeurs. « Il y a toujours eu des inventions
dont les gens disaient : ce n’est pas vrai ! Mais les révolutions
ne naissent jamais sur les paillasses des laboratoires des grands groupes.
Toute l’histoire de l’invention n’est faite que de ça. »
Hélas, l’affaire n’est pas un conte de fées. Et ne le sera
jamais. |
Cette enquête est passée dans son intégralité dans le n°juillet/août de Transfert magazine.
CHAPITRE I : UNE ID...E LUMINEUSE
L’aventure i2bp commence, deux ans plus tôt, par un échec. Celui de Marc-...ric Gervais. En janvier 1999, l’homme apprend qu’il est lourdé. Plan social chez Havas. Lui, le directeur du développement des éditions Elsa, montées avec l’aide de sa femme durant leurs deux années chez le géant du livre, est remercié. Le petit brun énergique s’offre une pause. Allume une cigarette. Un paquet de Marlboro par jour en rythme de croisière, la voix rocailleuse en cadeau. Il réfléchit. Sans stress, ni inquiétude. Il sait, comme tous ceux qui le connaissent, qu’il saura réagir. À 40 ans, il est toujours retombé sur ses pieds. Photo-reporter dans sa jeunesse, il n’a découvert sa véritable voie, celle du business, qu’à l’approche de la trentaine. C’était en 1987. Embauché comme responsable marketing dans une boîte de jeux de société avant de s’occuper, de 1995 à 1997, des collections à bas prix des éditions Pascale Loiseau. Madame Gervais, pour l’état civil.
« Talentueux, mais ingérable »
Gervais est un surdoué de la vente. Qui connaît ses armes. Le charme, d’abord. Costumes noirs, ton courtois, l’homme a l’air onctueux d’un prêtre italien. Et puis, il y a le regard acéré derrière les lunettes ovales et une éloquence sans faille, doublée d’un sens certain de la mise en scène. Quand il veut convaincre, rien ne lui résiste. Mais c’est encore sa personne qu’il vend le mieux. Là, il déroule un CV tellement impressionnant qu’on finit par en douter : lauréat du concours général d’histoire et d’économie, diplômé de droit international public et privé, de sciences politiques et de criminologie européenne comparée, admissibilité à l’ENA... Il manque souvent les dates et les établissements où ont été obtenus les diplômes. Pour éliminer les dernières réticences de ses interlocuteurs, il dispose de ses fameuses anecdotes. La rencontre avec le couple Mitterrand en 1985, à l’occasion d’un court-métrage vantant le TGV, l’énergie solaire et Matra. Celle avec Jean-Paul II en 1990 pour le lancement du jeu de société Catéchic. Défilent encore, pour faire bonne mesure, Deng Xiao Ping, George Bush, Shimon Peres et Yasser Arafat. Un livre d’entretiens, paru en 1998 aux éditions Elsa, atteste de sa rencontre avec le Pape. Pour le reste, il faut le croire sur parole. Le plus souvent, ça marche. Parfois, ça lasse. Viré de chez Havas, il y laisse l’image d’un personnage « talentueux, mais ingérable, voire insupportable ».
À l’assaut de
la netéconomie
Blessé dans son amour-propre, Gervais cherche à rebondir. De l’édition au multimédia, il n’y a qu’un pas. À l’automne 1999, après cinq mois de « cours d’Internet », Gervais est prêt pour de nouvelles aventures. Le timing est parfait : la netéconomie commence à déferler en France. L’une de ses connaissances, qui travaille dans l’informatique, le met sur un projet de console-ordinateur pour le grand public. Nom de code du projet : MPS (pour Multimedia Personal System) Technology, puis Futuris. « Une console, une télécommande, un bouton. On allume, catalogue de La Redoute, défilés... », explique Gervais. Ses propres compétences en technique sont quasi-nulles, mais il a mis la main, via ses relations, sur l’homme de la situation. Un dénommé Julien Olivier. Vingt ans et toute la panoplie du gentil nerd : queue-de-cheval, jeans et tee-shirt. Ce programmeur indépendant a monté sa petite entreprise, Skaven Software. Olivier gagne 40 000 francs par mois en menant quelques missions pour des éditeurs de jeux vidéo. Bluffé par Gervais, il travaille plusieurs semaines à l’interface de navigation de la console. Pour la rémunération, on verra plus tard.
Révolutionner la compression vidéo
Mais les travaux traînent. Et Julien Olivier a des projets plus ambitieux. La compression vidéo à haut débit, voilà l’avenir. Tous les acteurs du Net en rêvent, mais personne n’a obtenu de résultat probant. En janvier 2000, le développeur fait part de ses réflexions à Gervais. Alléché par un marché juteux, ce dernier dit banco. Un CD de démonstration tiré du film 1 001 pattes est rapidement prêt : 1 h 30, une qualité proche du VHS, en 352 x 288 pixels à 25 images par seconde. La méthode : choisir, en fonction de la séquence, l’un des 256 algorithmes de codage mis au point par Olivier. Le tout prend une semaine de calculs. Loin d’être parfait, le résultat est néanmoins supérieur à ce que permet le DivX ;-), le codec (compresseur-décompresseur) de référence à l’époque. Tout ceci n’est encore que du bricolage. Tous deux travaillent sans base juridique, puisque aucune société n’a encore été montée. Il faut néanmoins de l’argent. Gervais, qui affirme à Olivier qu’il n’a pas touché ses indemnités de licenciement, part en chasse. Il mobilise son réseau, avec, comme seule arme, cette « nouvelle technologie » visible sur un PC de bureau. Riche de promesses d’honoraires, Olivier paye le matériel de sa poche. Le duo est rejoint par deux anciens d’Havas, Nicole C. et Bertrand F..