Selon l’association Le Réseau Sortir du Nucléaire, EDF ne tient pas compte des recommandations de l’Institut de radioprotection et de sûreté nuclaire (IRSN), selon lesquelles dix centrales nucléaires françaises sont hors normes par rapport aux risques sismiques. EDF réfute ces accusations.
En 1998, plusieurs instances dépendantes de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), dont l’IRSN, ont procédé à une révision de la Règle fondamentale de sûreté (RFS). Ce texte normatif évalue la sûreté des installations nucléaires en fonction du risque sismique que présentent les sites sur lesquels elles sont implantées. Suite à l’établissement de ces nouvelles normes, l’EDF a procédé, entre 2000 et 2002, à sa propre évaluation des "aléas sismiques".
Des membres de l’ASN et d’EDF ont confronté leurs résultats au cours de plusieurs réunions.
1900 millions d’euros de travaux
Le Réseau Sortir du Nucléaire, qui fédère plus de 650 associations de défense de l’environnement, s’est procuré des documents internes à EDF. Il s’agit de notes et de mails échangés entre les employés d’EDF suite à une de ces réunions, qui s’est tenue le 24 octobre 2002.
Des copies de ces documents ont été transmises à Transfert par Stéphane Lhomme, porte-parole du Réseau Sortir du Nucléaire. Ce dernier refuse d’expliquer comment il s’est procuré ses documents.
Dans la note interne datée du 10 décembre 2002, frappée de l’en-tête "EDF Branche Energies", il est mentionné que "les évaluations IRSN sont presque systématiquement supérieures à celles d’EDF et conduisent, sur 10 sites, à des dépassements significatifs (...) des paliers".
Le document fait aussi état d’estimations budgétaires concernant les travaux à réaliser pour assurer la sécurité des 10 centrales en fonction des normes fixées par l’ASN. Le montant total des travaux s’élèverait à 1900 millions d’euros.
Les annexes qui accompagnent la note interne détaillent la nature des travaux à entreprendre. Pour les centrales de Bugey (Rhône-Alpes) et Fessenheim (Alsace), on peut lire que "le risque existe qu’une évaluation à 0,2g aboutisse à des impasses car nécessitant des travaux techniquement irréalisables ou d’un coût prohibitif".
Les documents soulignent aussi la nécéssité de poursuivre les discussions avec les instances de l’ASN, afin de trouver un consensus même si, selon l’auteur de la note, "certains points durs subsisteront".
Pour certains employés d’EDF, il semble que ces discussions soient insuffisantes. Dans un mail envoyé à 19 de ses collègues le 25 novembre 2002, Eric de Fraguier affirme : "Nous savions que la menace planait." Pour lui, les recommandations de l’IRSN ne sont pas acceptables. "Avec une RFS 2001 à ce niveau, on ne peut pas accepter de la prendre au référentiel". Pour trouver "une échappatoire à cette menace", il envisage "des actions de lobbying ou contrefeu (autres experts)".
"Situation explosive"
Pour Stépahne Lhomme, la menace évoquée par EDF ne concerne pas la sécurité des centrales, mais le cout élevé des travaux à mener. "Suite aux nouvelles normes émises par l’ANS, EDF n’a procédé à aucune modification de ces centrales. Il semblerait que le lobbying fonctionne !" affirme-t-il.
Pour EDF, ces accusations sont infondées. "Il n’y pas de nouvelles règles concernant les risques sismiques, explique Olivier Loriot, du service de pressse d’EDF. Tous les 10 ans, l’ASN procède à des inspections des centrales, et EDF suit ses recommandations. Si nous ne tenons pas compte des modifications qu’elle demande, l’ASN peut décider de procéder à la fermeture immédiate des centrales".
Olivier Loriot rappelle que peu de temps après l’important séisme qui avait frappé l’Italie le 4 novembre 2002, le Réseau Sortir du Nuclaire avait fait mention d’une information émanant de l’ASN, selon laquelle les systèmes de sécurité de onze centrales présentaient des déficiences et pourraient être inopérants en cas de séisme. André-Claude Lacoste, président de l’ASN, s’était alors déclaré "choqué que l’on puisse, à l’occasion d’une actualité dramatique, se servir d’informations largement accessibles à tous depuis longtemps pour inquiéter inutilement les citoyens".
Dans un article du Figaro, André-Claude Lacoste avait tout de même reconnu : "Le problème n’est pas négligeable". Aujourd’hui, pour Stéphane Lhomme, "la situation est explosive".