Frédéric Prat est ingénieur agronome, salarié à l’association Geyser
(agriculture durable, environnement, développement local), et administrateur
de l’association Inf’OGM. Il travaille depuis 5 ans sur le
thème des OGM, en publiant des articles, et en intervenant dans des débats
publics. Sa dernière publication : numéro spécial du journal Terre citoyenne (numéro 6, mars
2003) sur les semences (en ligne sur www.zooide.com).
Transfert.net publie la tribune qu’il a fait parvenir à la rédaction.
C’est banal : la loi a toujours un train de retard sur les pratiques
sociales. Dans les années 50, elles étaient nombreuses à avorter
clandestinement, beaucoup moins à le revendiquer ouvertement. Mais c’est
bien grâce à ces militantes que la loi sur l’avortement a évolué.
Il en est allé de même pour l’objection de conscience (avec les militants déserteurs),
le logement social (avec les squatters) et de nombreux exemples plus
anciens de luttes sociales, pas toujours pacifiques, auxquelles on doit
aujourd’hui nos lois républicaines.
Et pour les OGM ? Ils seraient arrivés en catimini sur le territoire européen si en 1996 Greenpeace n’avait pas arraisonné, de façon tout à fait illégale, plusieurs
bateaux chargés de soja transgénique. En catimini, mais surtout, plus grave,
dans un environnement législatif totalement déficient. Certes, une directive
européenne sur la dissémination d’OGM dans l’environnement existait (la
90/220), mais tellement imparfaite que les grandes mobilisations citoyennes,
dont les arrachages d’OGM, ont réussi en quelques années à l’abroger pour la
remplacer par une autre (la 2001/18), plus sévère bien qu’elle-même encore
imparfaite.
Le 2 juillet, les parlementaires européens doivent se
prononcer sur la traçabilité et l’étiquetage des OGM (1), preuve s’il en est que
l’environnement législatif, toujours sous la pression des citoyens (et
contre l’avis des multinationales et des pays producteurs), est en constante
évolution.
Au cours d’un récent colloque organisé par la revue "l’Ecologiste" (2),
Paul Lannoye, député du groupe des verts européen, confirmait que la fameuse
démocratie, rempart supposé de toutes les injustices, reposait en fait, au
moment des votes, sur les rapports de force des différents lobbies.
Car quel
député peut en effet maîtriser tous les épais dossiers de propositions de
réglementation sur lesquels il doit se prononcer ? C’est ainsi que l’on en
arrive, comme pour la directive 98/44 sur la brevetabilité du vivant, à une
situation où les députés européens ont approuvé cette directive, mais où la
plupart des gouvernements n’ont pas voulu la transposer, ayant pris
conscience seulement après coup des enjeux.
Pour le vote du 2 juillet, les parlementaires auront-ils perçu qu’ils
sont en train de se prononcer sur un règlement inapplicable ? En effet, dans
ce projet de réglementation, la présence accidentelle d’OGM non autorisés
serait tolérée en dessous de 0,5% sans étiquetage. Mais la détection des OGM
non autorisés est impossible dans la mesure où les laboratoires ne disposent
pas des amorces spécifiques pour les repérer.
Dès lors, en l’absence d’une
base de données mondiale identifiant tous les OGM commercialisés et en
expérimentation (prévue par le Protocole de Carthagène, mais pas encore
opérationnelle), l’application de ce règlement serait impossible. C’est
Gilles Eric Séralini, chercheur en biologie moléculaire, qui l’a souligné
lors de ce colloque.
Mais, là encore, les lobbies sont en action. Et la plainte des Etats Unis
contre l’UE à l’OMC pour faire lever le moratoire est une arme
supplémentaire qui embarrasse la Commission.
Face aux millions de dollars
des multinationales probiotec, que reste-t-il aux citoyens pour se faire
entendre, pour rééquilibrer ces rapports de force présents avant les votes
des différentes assemblées, qu’elles soient nationales ou européenne ?
L’action. Et si possible l’action médiatique. A visage découvert. Sans
violence aux personnes, mais radicale dans ses cibles. Les arrachages de
parcelles d’OGM, dont personne aujourd’hui ne peut garantir l’innocuité sur
la santé (3), et dont on sait déjà qu’ils ont des répercussions sur l’environnement (nombreuses contaminations avérées, résistances induites), en
font partie. Et je suis fier d’y avoir participé.
Mais cette marge de manoeuvre laissée aux syndicalistes et aux citoyens est
en train de disparaître. Et si l’action ouvertement revendiquée n’est plus
possible, que nous restera-t-il ? Les destructions de nuit, les sabotages
anonymes ? Et la non violence pourrait paraître bien désuète aux plus
radicaux.
Pour un gouvernement, il n’y a pas de honte à reconnaître écouter la rue.
Car, si ce n’est pas elle qui gouverne, c’est bien elle qui contrôle (ou
devrait contrôler) les gouvernants. Jacques Chirac sortirait grandi s’il
accordait immédiatement la grâce présidentielle à José, et à tous les
militants syndicalistes non violents qui se battent pour une société plus
juste. Au nom d’une cohérence avec tous ses récents discours
environnementalistes, il doit le faire.
Notes :
(1) Sept pays européens avaient adopté en 1999 un moratoire de facto sur
l’approbation de nouveaux OGM jusqu’à ce que leur traçabilité et étiquetage
soient assurés. Deux réglements portant sur ces sujets doivent être adoptés
en seconde lecture au PE le 2 juillet, ouvrant la porte, s’ils ne sont pas
amendés, à la levée du moratoire sur les OGM.
(2) OGM : de la contestation aux alternatives, 20 et 21 juin à Paris.
(3) L’argument « les américains en mangent depuis 5 ans et ne sont pas
malades » ne résiste pas au minimum de bonne foi scientifique : aucune
étude, aucun suivi épidémiologique, n’a été réalisé sur l’ingestion d’OGM.
Rappelons, comme argumentait Hervé Gaymard à ses homologues américains, qu’
entre 8 à 9000 personnes meurent chaque année d’intoxication alimentaire aux
Etats-Unis.