TourdeFrance.com : condamné, le site porno continue à narguer les organisateurs du Tour
Tourdefrance.com est un site porno payant qui fait la nique au site officiel de la Grande Boucle depuis bientôt trois ans. En septembre 2000, Javier Garcia, un Espagnol domicilié aux Canaries, avait réussi à racheter ce nom de domaine avant que la société organisatrice du Tour, Amaury Sport Organisation (ASO), ne le renouvelle (lire "TourdeFrance.com : la petite reine du cul"). Après une longue bataille juridique, ASO a fait condamner lourdement Garcia en octobre 2002. Mais Amaury lutte encore pour récupérer son adresse, toujours détenue par ce cybersquatteur multirécidiviste.
En tapant l’adresse Tourdefrance.com, l’internaute trouvera une petite présentation animée annonçant "toute l’information sur le Tour", sur fond de carte de France et de profils d’étapes. Mais s’il clique ensuite sur un des liens d’entrée, son navigateur lui proposera de télécharger un petit programme. Une fois installée, l’application donne accès à un florilège d’images pornographiques fort coûteux : le programme utilise une ligne téléphonique surfacturée, à 4 dollars (3,5 euros) la minute.
Tourdefrance.com est un cas exemplaire de cybersquatting, cette activité parfois lucrative à travers laquelle un individu ou une société achètent et exploitent un nom de domaine proche d’une adresse à l’image de marque prestigieuse. Et détourne ainsi du site officiel une partie des chalands virtuels.
"Parasite"
Depuis le 26 septembre 2000, Amaury Sport Organisation, qui organise entre autres la fameuse compétition cycliste, essaye de récupérer l’adresse Tourdefrance.com.
Après avoir étudié plusieurs pistes et envoyé en vain des lettres de mise en demeure, Florence Cochoy, la directrice juridique d’ASO a finalement réussi à faire condamner l’éditeur du site "parasite" le 7 octobre 2002 par le tribunal de grande instance de Nanterre. Un jugement qui n’a jamais pu être appliqué.
"M. Garcia n’est pas en France, et les délais judiciaires sont épouvantablement longs", se plaint Florence Cochoy. Depuis le 29 mai 2000, le droit européen a changé. L’application de jugements rendus dans un autre pays de l’Union ne passe plus par les parquets centraux, mais pas les juges locaux. "Ceux-là ne foutent rien et j’ai encore dû appeler mes avocats ce matin pour leur dire de se bouger !", piaffe la directrice juridique d’ASO.
Reconnu coupable de contrefaçon et de concurrence déloyale, Garcia a pourtant été lourdement condamné. La justice française lui réclame 12 000 euros de dommages et intérêts, qu’il doit verser à ASO. Le juge a aussi ordonné que cessent les infractions et que le nom de domaine soit rendu à ASO, sous peine de 1000 euros d’astreinte par jour de retard. Le montant de l’astreinte avoisine maintenant les 280 000 euros
Pourtant, neuf mois après le jugement du tribunal, Tourdefrance.com continue à narguer les organisateurs du Tour. Le propriétaire de l’adresse incriminée est en effet un cybersquatteur retors, qui refuse d’obtempérer. Garcia, qui possède plusieurs centaines d’adresses, a déjà été condamné à plusieurs reprises par l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle à rendre des noms de domaine usurpés, comme christiandior.com, fcbayern.com ou audi.net.
Choix juridique peu judicieux
L’OMPI est une instance internationale qui rend des arbitrages notamment dans les litiges concernant les noms de domaine. Les registrars du monde entier sont tenus de se plier à ses décisions en une semaine, sous peine de se voir retirer leur agrément. Le cas échéant, le défendant peut contre-attaquer auprès d’un tribunal mais seulement a posteriori.
Pourquoi ASO n’a-t-il donc pas tenté de récupérer son nom de domaine en entamant une procédure auprès de l’OMPI, au lieu de se contenter de s’adresser à la justice française ? "Nous voulions obtenir des dommages et intérêts", reconnaît Florence Cochoy, qui argue que l’usurpation de Tourdefrance.com constitue un grave préjudice, en l’occurence un "déficit d’image". Depuis longtemps.
Pour ASO, le fait que le site squatté fasse l’objet d’un usage commercial constitue le critère déterminant de sa tactique judiciaire malencontreuse. La société du Tour n’a par exemple pas cherché à récupérer les adresses tourdefrance.net et tourdefrance.org, qui appartiennent respectivement à un Anglais et à un Américain. L’un ne pointe vers rien et l’autre est à vendre.
Javier Garcia, lui, fait tout pour garder son adresse, qu’il dit avoir acheté "par goût du cyclisme". En 2001, Garcia revendiquait 40 000 visites sur Tourdefrance.com.
"C’est un malin qui joue à cache-cache", dit Florence Cochoy. Elle suggère que le cybersquatteur du Tour de France pourrait être un prête-nom au service d’une société bien organisée. Cochoy remarque : "Quand on essaye de passer par les intermédiaires techniques pour faire transférer le nom de domaine d’un registrar à l’autre en signifiant le jugement, Garcia prend un autre registrar moins regardant, dans un autre pays."
"Tout cela est long et coûte cher, dès que cela touche à l’étranger", se plaint Florence Cochoy, qui se dit obligée de mener une croisade à coups de lettres de mise en demeure pour protéger les différentes marques d’ASO. Cette filiale du groupe de presse Amaury, éditeur du seul quotidien sportif français, l’Equipe, organise notamment le Paris-Dakar, le Marathon de Paris, l’Enduro du Touquet ou encore le Paris-Roubaix.
"On a peut-être fait une erreur de stratégie... reconnaît Florence Cochoy, mais le procès au tribunal est quand même la voie normale pour un plaignant. C’est une question de temps et on l’aura, ce monsieur Garcia", menace Florence Cochoy. Pour l’instant, la ligne d’arrivée de ce contre-la-montre judiciaire n’est pas encore en vue.