Un rapport démontre à nouveau l’inefficacité de cette vieille lune du complexe militaro-industriel
Tandis qu’au nom de la guerre contre le terrorisme, le gouvernement américain investit toujours plus dans le développement d’un système d’interception de missiles, la très sérieuse American Physical Society (APS) vient de publier une synthèse scientifique qui conteste la faisabilité des projets en cours. Selon les physiciens et les ingénieurs de l’APS, même si les techniques de détection et de guidage progressent considérablement, les systèmes d’interception auront toujours un retard rédhibitoire à l’allumage...
Les attentats du 11 septembre ont servi d’argument à l’administration Bush pour donner un coup d’accélérateur à un projet de bouclier anti-missiles vieux de vingt ans. A cet effet, le Pentagone a créé en janvier 2002 une agence spécifique, la Missile Defense Agency (MDA) et lui allouer un budget prévisionnel de 50 milliards de dollars jusqu’en 2009. Cette agence gouvernementale est chargée d’organiser les recherches qui permettront de mettre les Etats-Unis et leurs bases militaires à l’abri des missiles que voudraient leur expédier un quelconque "Etat voyou".
Déjà vantée auprès du monde entier dans les années 80 par Ronald Reagan, sous le surnom un rien prétentieux de "Guerre des Etoiles", l’Initiative de défense stratégique (IDS) était sensée aboutir à la mise au point d’un bouclier protégeant les Etats-Unis et leurs alliés des missiles intercontinentaux (ICBM) nucléaires soviétiques. L’IDS avait été fortement critiquée. D’une part, elle violait le traité americano-soviétique de 1972 sur les missiles balistiques ; d’autre part, de nombreux scientifiques doutaient que les connaissances techniques de l’époque eussent été mûres pour qu’un tel projet puisse voir le jour.
120 milliards de dollars pour un bouclier fendu
Rebaptisé Ballistic Missile Défense puis National Missile Defense et mis plus ou moins en sommeil après la fin de la guerre froide, le bouclier anti-missile a été remis au goût du jour peu avant l’arrivée de Georges W. Bush à la présidence. C’est en effet Bill Clinton qui a décidé en 2000, malgré les mises en garde des scientifiques, d’augmenter le budget annuel consacré à la National Missile Defense. Ces derniers rappelaient alors que les 120 milliards de dollars consacrés jusque-là à la défense anti-missile n’avaient jamais abouti au moindre système d’interception opérationnel.
Encore moins sensible que son prédécesseur aux arguments des scientifiques, le président Bush a décidé, le 17 septembre 2002, d’autoriser le Department of Defense (DoD) et la MDA à se lancer dans la fabrication d’une vingtaine de missiles d’interception d’ici à 2005. Alors que 7,5 millards de dollars devraient être consacrés en 2004 aux programmes de la MDA, ces coûteux gadgets pourraient se révéler parfaitement inutilisables.
Une équipe rassemblant des physiciens et des ingénieurs exerçant dans des universités et des laboratoires aussi prestigieux qu’Argonne, Los Alamos, le MIT, Sandia, Cornell, Berkeley ou même la RAND, publie sous l’égide de l’APS, un rapport qui démontre l’inefficacité prévisible des systèmes de défense anti-missiles préconisés par la MDA.
Ces experts constatent que tous les systèmes d’interception actuellement en développement consistent à détruire le missile pendant sa phase de propulsion initiale. Or, selon eux, quel que soit le système de détection et d’interception choisi (missile Aegis embarqué, missile terrestre GMD, rayon laser), aucun n’aura le temps d’atteindre sa cible dans les 2 à 4 minutes que dure cette phase de propulsion.
En fait, les chercheurs estiment que si de gros progrès sont faits, le système pourra éventuellement détecter et détruire certains missiles propulsés grâce à des carburants liquides, dont la phase initiale de propulsion est plus longue. En revanche, ils resteront toujours incapables de détruire les missiles à carburant solide, qui ne peuvent être atteints que pendant les 95 secondes qui suivent leur lancement et que les Etats voyous maîtriseront probablement d’ici 10 à 15 ans, lorsque le bouclier sera en passe de devenir opérationnel. Quoi que fassent les ingénieurs militaires et para-militaires, leurs missiles ne peuvent pas tirer plus vite que leurs ombres...
Le rapport de l’APS, Boost-Phase Intercept Systems for National Missile Defense - Technical Issues:
http://www.aps.org/public_affairs/p...
L’histoire du projet "Guerre des Etoiles" (IDS) de Reagan:
http://www.wikipedia.org/wiki/Strat...
Le budget prévisionnel 2002-2009 du programme anti-missile américain (en anglais):
http://www.acq.osd.mil/bmdo/bmdolin...