Le mercredi 13 août 2003, des employés syndicalistes d’Air France ont découvert une caméra de vidéosurveillance dissimulée derrière une horloge dans une de leurs salles de repos, située au terminal 2C de l’aéroport de Roissy. Alertée, la direction d’Air France s’est, dans un premier temps, déclarée surprise. Tout comme la police et la direction d’Aéroports de Paris (ADP). Sommée, par des membres de sa section CGT, de justifier ce dispositif atypique, Air France explique qu’une "porte frontière" présente dans la salle justifie une surveillance, en cas d’ouverture. Les syndicalistes, qui ne se montrent pas convaincus, envisagent de porter plainte pour démêler cet imbroglio de la vidéosurveillance en entreprise.
"L’horloge de notre salle de repos pendait du mur, retenue par des fils électriques. Nous avons trouvé cela bizarre...", se rappelle Icham Hamdi, un syndicaliste CGT employé d’Air France à l’aéroport de Roissy. "Quand nous avons vu qu’au dos de l’horloge se trouvaient un circuit imprimé et deux fils vidéo, on a prévenu l’inspection du travail..."
Le soir-même, le 13 août, un inspecteur, un agent de la police de l’air et des frontières, ainsi que des responsables d’Aéroports de Paris et d’Air France se rendent dans la salle, équipée de machines à café, où les employés du terminal 2C ont l’habitude de prendre leur pause.
Aidée d’un électricien, la police constate, à la surprise générale, que l’horloge cache en fait une caméra miniature. La caméra est reliée à un écran et un magnétoscope, situés dans un réduit attenant. La police saisit le matériel.
"Nous avons demandé à notre direction de nous expliquer pourquoi il y avait une caméra digne d’un film d’espionnage dans notre salle de repos, sans que nous n’ayons jamais été prévenus...", explique Icham Hamdi, également délégué du personnel Air France Roissy Escales, qui a rédigé et fait publié un tract dès le lendemain.
Le jeudi 14 août, les syndicalistes sont reçus par la direction Air France du hub, qui reconnaît que la caméra a été installée par Air France.
Angle de vue bizarre
"Nous avons expliqué aux employés que cette caméra est un dispositif de sûreté anti-intrusion qui surveille une porte frontière entre zone publique et zone sous douane", raconte Jean-Claude Couturier, responsable presse d’Air France. "Elle ne tourne pas en permanence et ne se déclenche qu’en cas d’intrusion, quand la porte frontière est ouverte."
La direction d’Air France dit être légalement tenue de faire surveiller ces portes. Elle détient une autorisation du Comité opérationnel de sûreté (COS), délivrée en 1999, à l’époque de l’installation de la caméra.
Le jour-même, Air France publie un bulletin d’info diffusé dans les casiers des employés du terminal concerné, leur signalant l’existence de cette caméra et les raisons de sa présence dans cette salle.
De leur côté, les syndicalistes ne sont pas convaincus des explications de la direction d’Air France. Ils estiment que certaines questions restent en suspens : "Pourquoi les salariés n’ont-ils pas été prévenus ? Il y a des tas de caméras de vidéosurveillance à Roissy. Elles sont toutes signalées à nos instances représentatives : le Comité d’établissement et le Comité hygiène, sécurité et conditions de travail", s’étonne Philippe Merlin, secrétaire de la section CGT de Roissy Escales.
"De plus, s’il s’agit de surveiller une porte frontière, la méthode reste surprenante : la caméra offre un beau point de vue sur notre espace de repos mais moins sur la porte, qui est cachée par un portant à vêtements...", remarque Philippe Merlin, de la CGT. "Nous avons trouvé une salle similaire dans un autre hub, avec une issue de secours qui est aussi une porte frontière. Une caméra, visible, est placée à l’extérieur de la salle, afin de filmer le visage de l’intrus ou du terroriste... pas son dos !"
Fouiller les archives
Surtout, les syndicalistes soulignent que les portes frontières sont surveillées par des caméras reliées aux postes de la police de l’Air et des Frontières, pour permettre une intervention sur-le-champ en cas d’intrusion. "Quand on les a alertés, la police et Aéroports de Paris n’étaient pas au courant de ce dispositif, relié à un simple magnétoscope situé dans un local privatif d’Air France", souligne encore Philippe Merlin.
Pour expliquer la confusion un peu embarrassante qui règne dans cette affaire, la direction d’Air France souligne qu’il est difficile de savoir ce qui a été fait par l’entreprise en 1998 et 1999, à l’époque de l’installation de la caméra. "Il y a beaucoup de mobilité interne et nous devons chercher dans les archives des procès-verbaux de réunions pour éclaircir la situation", souligne Jean-CLaude Couturier au nom d’Air France.
Dans ces conditions, Air France affirme ne pas savoir quelles images ont été enregistrées sur la cassette retrouvée dans le magnétoscope, ni si la caméra a jamais fonctionné. La direction dit ne pas savoir non plus si ce type de vidéosurveillance cachée est utilisé dans d’autres salles du hub, ou de l’aéroport.
Parmi le personnel du terminal, l’affaire de la "caméra café" suscite discussions, inquiétudes et plaisanteries, tandis que les réunions entre la direction et les syndicalistes se succèdent.
Vers une nomination aux Big Brother Awards
Dans une entrevue le 20 août, la direction d’Air France a affirmé aux syndicalistes que le choix atypique d’une caméra dissimulée a été imposé par le Comité opérationnel de sûreté, une instance qui regroupe la police de l’Air et des Frontières, Aéroports de Paris et les compagnies aériennes.
Pour justifier le fait de ne pas avoir prévenu les instances représentatives du personnel, Air France cite l’article L.432-2-1 du Code du travail, qui encadre la surveillance des salariés par un employeur.
Les syndicalistes ne comptent pourtant pas se contenter de ces explications. "La loi de 1995, qui encadre la vidéosurveillance, est de notre côté, affirme Philippe Merlin, secrétaire de la CGT Roissy Escales. "Nous avons consulté la documentation technique du dispositif, fournie par Air France la semaine dernière. Elle précise que la caméra peut-être actionnée en cas d’intrusion mais aussi déclenchée par un agent et tourner pendant 900 heures avec la même cassette."
Aujourd’hui, la section CGT Roissy Escales envisage sérieusement de porter plainte et consulte ses avocats dans ce sens. Comme ils le précisent dans un tract diffusé au personnel, les syndicalistes songent aussi à "présenter Air France aux Big Brother Awards, qui décernent chaque année un prix aux entreprises ou organismes qui se sont montrés les plus irrespecteux envers la vie privée de leurs salariés !"
Une nouvelle réunion est prévue la semaine prochaine, entre la direction d’Air France et les syndicalistes. Un comité d’établissement extraordinaire pourrait être convoqué.