Une coalition d’Etats exige que l’ONU interdise le clonage sous toutes ses formes
L’ONU devrait se prononcer les 21 et 22 octobre prochains sur un projet de résolution visant à interdire le clonage humain sous toutes ses formes. Défendue par les Etats-Unis et les lobbies religieux anti-avortement, cette interdiction totale contredirait les conclusions de la commission spéciale onusienne, qui ne souhaite bannir que le clonage reproductif. Malgré les appels des scientifiques, le clonage à des fins thérapeutiques risque de faire les frais de cette bataille idéologique.
Approuvée en 1998 par l’ONU, la Déclaration universelle sur le génome et les droits de l’homme indique, dans son article 11, que "des pratiques qui sont contraires à la dignité humaine, telles que le clonage à des fins de reproduction d’êtres humains, ne doivent pas être permises".
A l’initiative de la France et de l’Allemagne, les Nations unies ont mis en place, début 2002, une commission spéciale chargée d’élaborer un projet de convention internationale sur le sujet. Mais, en novembre 2002, l’adoption de cet instrument juridique universel a été repoussée à la fin 2003, sous la pression de 30 pays, dont les Etats-Unis, l’Espagne et les Philippines.
Pour ces pays, soutenus par le Vatican et les groupes anti-avortement, interdire le seul clonage reproductif reviendrait en effet à légitimer par défaut le clonage thérapeutique.
Cette nouvelle croisade a porté ses fruits. En avril 2003, le gouvernement du Costa-Rica écrivait au secrétaire général de l’ONU pour présenter un nouveau projet de convention, criminalisant le clonage d’êtres humains, même mené à des fins de recherche.
Ce texte, qui fédère aujourd’hui 40 pays, sera soumis au vote les 21 et 22 octobre prochain, c’est-à-dire avant l’examen du projet de convention élaborée par la commission spéciale onusienne.
Le dogme face à la science
Si l’ONU interdisait tout clonage, même à des fins médicales, "ce serait une victoire du dogme sur la santé publique", résume David Dickson, ancien responsable de l’information de la revue scientifique anglo-saxonne Nature et président du Réseau pour la science et le développement.
Les arguments avancés par la coalition de pays opposés au clonage thérapeutique sont purement idéologiques. Pour les groupes anti-avortements et le Vatican, le clonage thérapeutique est en effet assimilable à un assassinat.
Or, le clonage thérapeutique n’a pas pour objectif la naissance d’un individu, mais l’obtention de cellules souches à partir d’un embryon créé par transfert de noyau. "Ces cellules pourraient fort bien révolutionner la médecine régénérative. Pourquoi, alors, hésiter devant ces pistes si prometteuses ?", s’interrogeait, le 10 septembre dernier, Koïchiro Matsuura, le directeur général de l’Unesco, au cours d’une séance publique consacrée au clonage humain.
C’est cette position que veulent défendre à l’ONU les 14 pays opposés à toute interdiction globale du clonage humain. Ces gouvernements, dont ceux de la France, du Brésil, du Japon et de l’Afrique du Sud, souhaitent garder la possibilité de réguler eux-mêmes le clonage à des fins thérapeutiques.
Le 22 septembre dernier, 63 des 90 académies des sciences réunies au sein de l’Interacademy Panel avaient publié un texte dans lequel ces scientifiques réitéraient leur opposition au clonage reproductif, mais rappelaient les potentialités du clonage à des fins de recherche.
A l’ONU, ces arguments risquent de ne pas peser bien lourd face à la pression des Etats-Unis, favorables à une interdiction pure et simple du clonage humain, comme l’a indiqué à plusieurs reprises le secrétaire d’Etat adjoint aux organisations internationales, Kim Holmes.
En août 2001, le gouvernement Bush s’était déjà fait remarquer en condamnant
les recherches menées sur les cellules souches embryonnaires, au prix
d’arguments scientifiques plus que douteux : le président américain
affirmait qu’il existait largement assez de lignées de cellules souches chez
des adultes pour faire avancer les recherches en médecine régénérative, ce
qui se révèle faux. L’autorisation du clonage thérapeutique permettrait la
fabrication en série de cellules embryonnaires...
De plus, l’administration Bush entretient d’excellentes relations avec les groupes religieux, comme l’American Church, qui militent depuis longtemps pour l’interdiction de toute forme d’avortement humain.
Mieux vaut prier que guérir
Comme l’a dénoncé cet été le démocrate Henry Waxman dans un rapport accusateur, Bush impose dans les institutions scientifiques officielles de nombreux activistes anti-avortements. Nommé à la tête de la commission délivrant les autorisations de médicaments relatifs à la reproduction de la FDA (Food and Drug Administration), le Docteur W. David Hayes préconise, dans ses ouvrages scientifiques, la prière et la lecture de la Bible aux femmes souffrant de douleurs de règles.
Pour le gouvernement Bush, l’interdiction de tout clonage humain par l’ONU permettrait également de contourner le blocage du Congrès américain. La législation sur la question est en effet au point mort, en raison d’un désaccord sur cette question entre les républicains, majoritaires à la Chambre des représentants, et les démocrates qui contrôlent le Sénat.
Après l’échec en 2001 d’un premier appel de George W Bush à légiférer contre le clonage humain, une deuxième tentative a entraîné en avril 2002 la présentation par les sénateurs démocrates d’un projet de loi interdisant le clonage d’embryons humains, sauf dans le cadre de la recherche médicale...
Quelle que soit l’issue du vote des 21 et 22 octobre prochain, la convention contre toute forme de clonage humain illustre une nouvelle fois la volonté américaine d’imposer ses vues à la communauté internationale. Pour l’ONU, cette affaire aura montré la difficulté d’atteindre une position commune, hors de toute pression...