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“L’...tat
doit être le levier de la future culture numérique”
Jean-François
Abramatic est l’auteur du rapport sur le Développement
technique de l’Internet, remis à Christian Pierret,
secrétaire d’...tat à l’industrie.
Directeur de recherche à l’INRIA (Institut national de
la recherche en informatique et en automatique), et président
du World Wide Web Consortium (W3C), Jean-François Abramatic
montre que la France est terriblement en retard. Mais il explique
aussi que des solutions simples peuvent inverser la tendance.
Interview.
)Transfert : Votre rapport fait
état de 4 millions d’internautes français. Ce chiffre,
extrait d’une étude du cabinet IDC, est nettement
supérieur aux estimations antérieures. Pourquoi
l’avoir choisi ?
Jean-François Abramatic :
Nous n’avons pas cherché à le mettre particulièrement
en avant. Nous avons publié les résultats de plusieurs
enquêtes, certaines optimistes, d’autres moins. Il
est très difficile d’avoir une photographie exacte
du nombre d’internautes en France. En fait, les chiffres
en valeurs absolues ne nous intéressent pas vraiment. Ce
qui compte, c’est d’avoir des ordres de grandeur pour
pouvoir faire des comparaisons avec les autres pays. Nous avons
choisi plusieurs critères, le nombre de noms de domaines
nationaux, l’utilisation par le grand public, par les entreprises,
par les administrations... Au final, en comparant tous ces
chiffres, on se rend compte que notre intuition était juste
: la France est terriblement en retard.
)Transfert : Vous n’avez
pas peur qu’on vous reproche d’appuyer là où
ça fait mal ?
Jean-François Abramatic :
La politique de l’autruche n’a jamais donné aucun
résultat ! Pour réagir correctement, il faut avoir
une vision réaliste des choses. Ce rapport n’est d’ailleurs
pas si négatif. Nous expliquons que la France et l’Europe
peuvent, pour combler l’écart, s’appuyer sur
des secteurs où leurs compétences sont reconnues
: la téléphonie mobile, le commerce électronique,
la carte à puce... Personnellement, je ne suis pas du tout
pessimiste. Mon objectif est que, dans cinq ans, la France soit
dans le peloton de tête. Qu’elle devienne une référence
sur certains éléments techniques du Net...
)Transfert : Pour y parvenir,
vous proposez, entre autres, d’“encourager la présence
sur le sol américain d’entreprises françaises”.
Sur le long terme, cela ne vous semble pas dangereux ?
Jean-François Abramatic :
De toute façon, c’est le prix à payer pour
notre retard. Aujourd’hui, 80% du marché se trouve
aux ...tats-Unis. Nous n’avons pas le choix : si nous
voulons nous en sortir, nous devons aller là-bas. ...videmment,
il n’est pas question de tout déménager Outre
Atlantique. Dans notre rapport, nous rappelons que la priorité
est de favoriser l’émergence, en France, de sociétés
de haute technologie et d’encourager la création de
start-up. Il ne faut pas que les Français se précipitent
aux ...tats-Unis dès qu’ils ont une bonne idée
ou bon produit. Les entreprises peuvent conserver, en France,
leur maison mère ou leur cellule recherche et développement.
Mais, pour tout ce qui est marketing, on ne peut pas y couper
: il faut s’implanter aux ...tats-Unis.
)Transfert : Vous proposez aussi
de créer une “fondation pour le développement
des logiciels libres”. Quel serait exactement son rôle
?
Jean-François Abramatic :
Il est nécessaire de drainer des fonds vers les logiciels
libres. Le système de la fondation, qui est assez ouvert,
me semble la meilleure solution pour y parvenir. Il est indispensable
que la France prenne part à ce mouvement formidable qui
est en train de bouleverser l’économie de l’informatique.
Nous disposons des personnes compétentes, il faut seulement
leur donner un coup de main.
)Transfert : Mais l’idée
d’une fondation, structure fixe et un peu institutionnelle,
semble contraire au principe du logiciel libre qui est, par nature,
échevelé, collectif, difficilement maîtrisable...
Jean-François Abramatic :
Cette fondation ne sera que ce que nous en ferons. Je n’ai
jamais dit qu’il fallait enfermer les programmeurs libres
dans des cases. Je sais seulement qu’il faut les aider. Je
vais vous donner un exemple. Je travaille à l’INRIA
et je vois souvent des étudiants en dernière année
de thèse qui ont conçu un logiciel formidable. Leur
produit n’en est qu’à sa phase de développement
et il risque de n’être jamais achevé car leurs
études sont finies. Il faut aider financièrement
ces gens-là pour qu’ils continuent à inventer
des programmes. La fondation devra servir à ça.
Elle aura un effet de levier. C’est d’ailleurs en ce
sens que l’...tat doit intervenir : il doit être
le levier de la future culture numérique.
)Transfert : Vous affirmez que
les pouvoirs publics doivent privilégier “l’exemplarité
plutôt que l’autorité, la médiation plutôt
que la régulation”... Que voulez-vous dire ?
Jean-François Abramatic :
Je voulais simplement expliquer qu’il est inutile, pour l’instant,
de s’exciter sur une grande loi Internet. En ce qui concerne
les aspects juridiques, le monde entier est en période
transitoire. Tout le monde est dans les choux. Ce n’est pas
le moment de se précipiter...
)Transfert : Que fait-on alors ?
On attend les bras croisés ? On observe ce que les autres
pays décident au fur et à mesure ?
Jean-François Abramatic :
Bien sûr que non, mais on prend le temps de réfléchir.
Il faut que les pouvoirs publics aient la modestie de reconnaître
que, pour l’instant, ils n’ont pas la compétence
pour trancher. Il vaut mieux oublier un peu la régulation
pour privilégier la médiation.
)Transfert : Concrètement,
cela donne quoi ?
Jean-François Abramatic :
L’...tat doit jouer les médiateurs. À
chaque fois qu’un nouveau problème se pose, il faut
réunir les gens autour d’une table et les inviter
à discuter ensemble. Sur la question de la protection de
la vie privée, par exemple, il est grand temps que les
fournisseurs de services et les représentants des associations
de consommateurs se rencontrent. Pour l’instant en matière
législative, le boulot de l’...tat est simplement
de monter ce type de réunions et de veiller à ce
que tout le monde ait la parole. Il y a des moments où
la modestie est essentielle.
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