Une web agency reproche à France Télécom de lui avoir volé son nom en lançant sa campagne de publicité. Objet du litige : "la vie com" est-ce comme "la vie.com" ?
La poésie peut-elle apporter un supplément d’âme (et d’argumentation juridique) aux batailles relatives au droit des marques ? Oui, à en juger par la nature des débats qui avaient lieu mercredi 20 décembre devant la troisième chambre civile du tribunal de Paris. Face à face : France Télécom, qu’on ne présente plus, et La vie.com, une web agency plus connue de ses quelques (grands) clients que des abonnés au téléphone. Objet du débat : France Télécom et son agence de pub BDDP ont utilisé un slogan et déposé des marques intégrant le nom "la vie.com". La poésie dans tout ça ? Elle déboule sans prévenir dans le prétoire quand les avocats de l’opérateur et de son agence de publicité tentent un dégagement en touche : le slogan "France Télécom, bienvenue dans la vie.com" doit être pris "comme un alexandrin". Par conséquent, il constitue un tout indissociable radicalement différent de "la vie.com" tout court, affirment-ils fort sérieusement.
T’as vu ton Kbis ?
La vie.com tente de défendre l’antériorité de son nom. La société a été enregistrée au greffe du tribunal de commerce. N’est-ce pas suffisant à démontrer que ni France Télécom ni BDDP n’avaient le droit de déposer des marques pouvant, de près ou de loin, ressembler à son nom ? Premier point d’achoppement entre les parties : comment s’appelle réellement la petite entreprise ? Les grandes argumentent en produisant un extrait du registre du commerce, un document plus connu sous le nom de "Kbis". Celui-ci mentionne "LA VIE COM", sans point, ce qui, bien entendu, constitue une différence. L’adversaire ne se démonte pas : évidemment, c’est le système informatique du tribunal de commerce de Créteil qui ne prend pas en compte les signes de ponctuation ! "En déposant le nom, l’agence de publicité (BDDP, NDLR) aurait dû savoir qu’il fallait se fonder sur la version originale déposée au registre du commerce et où figure le point", estime donc Jean Aittouares, avocat de La Vie.com. "C’est de la mauvaise foi", tonne Me Véronique Lartigue au nom de BDDP, qui appuie sa défense sur le fait "qu’un tas de sociétés comportent la vie et com dans leur nom".
Les nouvelles technos plus vastes que le Net
Mais pour l’avocat de La Vie.com, l’essentiel tient dans la confusion entraînée par le slogan archi-diffusé de France Télécom. Pour lui, elle est criante. La Vie.com exerce son activité autour d’Internet. Or, la campagne de France Télécom se rattache justement à la même famille d’activité. "Le "bienvenue dans la" précédant la vie.com ne crée pas un sens nouveau", plaide-t-il. Défense de France Télécom, assez faible : "Notre client fait référence à la communication par les nouvelles technologies, qui a un sens plus général que la création de sites internet", affirme l’avocate de la société, Marie-Hélène Lemaître.
Le beurre, l’argent du beurre et le cul de la crémière
Ultime question, d’importance : de quel préjudice peut se prévaloir La Vie.com ? Jean Aittouares, en distingue deux : d’une part, la société ne peut plus prononcer son nom sans avoir à démentir aussitôt tout lien avec France Télécom. Mais surtout, elle est victime d’un manque à gagner potentiel dans la mesure où elle aurait pu revendre la marque "la vie.com" très cher. Or, celle-ci se retrouve par la force des choses définitivement assimilée à France Télécom... L’avocat réclame donc pas moins de 25 millions de francs de dommages et intérêts ainsi que le retrait de l’expression fautive des campagnes France Télécom, le tout assorti de l’interdiction d’utiliser la marque. La présidente du tribunal s’étonne de cette demande multiple. Quant à l’avocate de BDDP, elle monte au créneau avec véhémence : "Notre adversaire veut le beurre, l’argent du beurre et le cul de la crémière", entame-elle avec une gouaille calculée. Pour elle, La vie.com "a compris en juillet qu’elle pouvait retirer de l’argent de l’opération", en apprenant le rachat à prix d’or du nom Vizzavi par Vivendi. Jusque là, la petite société n’avait pas jugé bon de déposer son nom comme une marque commerciale. Avec sa consœur Marie-Hélène Lemaître, l’avocate de l’opérateur téléphonique estime, enfin, que la société n’a pas pâti de la campagne de France Télécom puisqu’elle a signé des contrats avec ses concurrents. Quoi qu’il en soit, le tribunal devrait déterminer si oui ou non, La Vie.com s’est fait voler son nom. Réponse le 7 février 2001.